A l’ouverture du Sommet de Séville qui traitera, entre autres, de la question du droit d’asile et du statut des réfugiés, les 42 associations membres d’Alerte, vivent comme une exigence de rappeler que :
– les « persécutions » dans le monde, suivant les termes de la Convention de Genève, se multiplient ;
– les conditions actuelles d’accueil des demandeurs d’asile et de traitement de leurs dossiers sont dégradantes pour les personnes, et les sociétés européennes elles-mêmes.
Elles formulent six propositions pour protéger les personnes, repenser les procédures, accroître les moyens d’hébergement et d’accompagnement, accueillir les mineurs étrangers à la rue, garantir des ressources permettant de vivre dignement, faciliter l’accès au travail et à la formation.
I – L’extrême précarité des demandeurs d’asile
Les associations sont témoins d’un drame humain inadmissible : la situation vécue par les réfugiés et demandeurs d’asile en France.
48 000 demandeurs d’asile conventionnel* et 30 000 demandeurs d’asile territorial** sont arrivés en France en 2001. Les conditions d’accueil sont détestables : situation souvent dégradante dans les zones d’attente, durée de procédure pouvant dépasser 2 ans, insuffisance criante d’hébergement, interdiction de travailler, allocations ne permettant pas de vivre décemment… Enfin, dans certaines préfectures, les demandeurs d’asile n’obtiennent même pas de document indiquant qu’ils auront rendez-vous pour déposer leur demande d’asile, ce qui les place en situation de grande précarité juridique, sous la menace d’une reconduite à la frontière, et les prive de l’accès immédiat à la CMU à laquelle ils ont pourtant droit.
En 2001, des constats sévères et convergents ont été dressés successivement par la Cour des comptes, le Haut commissariat pour les réfugiés, la CNCDH et Alerte. En 2002, ce fut le tour de l’IGAS. Il devient urgent de remédier à la situation actuelle et pour cela de réformer la politique de l’asile en France et dans l’Union européenne. C’est l’une des préoccupations majeures des associations caritatives et de solidarité aujourd’hui en matière de politique de lutte contre la pauvreté.
Ces dernières années, l’augmentation du nombre des demandeurs d’asile conventionnel (22 400 en 1998, 48000 en 2001***), ainsi que l’augmentation de la durée des procédures, ont entraîné la saturation complète du dispositif national d’accueil spécifique (9 300 places seulement). A l’issue des procédures d’asile, le nombre des déboutés ne cesse de croître (plus de 80% sont déboutés). Toutes ces personnes, demandeurs d’asile ou déboutés, sont venues grossir les rangs des personnes à la rue sollicitant les divers centres d’hébergement et les centres d’aide alimentaire. Malgré l’accroissement de la capacité d’accueil du dispositif national durant ces deux dernières années, ce dispositif spécialisé n’a pu faire face aux besoins. La mobilisation des structures d’accueil (CHRS, accueils d’urgence, foyers) en plus du dispositif spécifique ne suffit plus : les demandeurs d’asile trouvent un accueil sommaire dans des hôtels vétustes ou inadaptés, ou errent dans les rues, à la merci des marchands de sommeil, des réseaux de prostitution etc., ce qui pose un problème majeur de dignité humaine.
Une amélioration de l’asile en France passe par une mise en cohérence des politiques européennes. Les travaux d’harmonisation portant sur les conditions d’accueil, la définition de la notion de réfugié, et les critères de détermination de l’état responsable de l’examen de la demande d’asile en Europe sont loin de répondre aux attentes du monde associatif. Le projet de directive sur l’accueil, quels que soient ses aspects positifs, laisse bien trop de latitude aux pratiques de chacun. Les associations d’Alerte appellent les états membres à aller au-delà de leurs réflexes nationaux en permettant une lecture fidèle et intégrale de la Convention de Genève et en mettant en commun leurs bonnes pratiques en matière d’accueil des demandeurs d’asile. En outre, le respect des engagements internationaux des États membres de l’Union à l’égard des réfugiés ne saurait se vérifier si les quinze persistent à entériner une approche sécuritaire et de fermeture des frontières qui ne garantit pas l’accès des personnes en danger à l’espace commun.
Afin de remédier à la situation actuelle française qui est intolérable, les associations formulent les demandes prioritaires suivantes, pour l’ensemble des demandeurs d’asile conventionnels et territoriaux:
II- Demandes prioritaires
1- Protéger
La protection doit être la priorité de toute politique d’asile :
– l’admission sur le territoire doit être le principe, le refus l’exception ;
– un recours suspensif doit être institué en cas de refus ;
– les zones d’attente doivent cesser d’être des zones de non droit et doivent être ouvertes : les associations doivent pouvoir y accéder , sans restriction aucune, pour y exercer leur fonction de vigilance et d’assistance aux étrangers.
2- Repenser les procédures
A chaque étape (demande à la frontière, sur le territoire, première instance, recours), le demandeur doit :
– être effectivement entendu,
– disposer d’un conseil et d’un interprète,
– bénéficier, en cas de refus, d’une possibilité d’appel avec recours suspensif.
L’instruction des demandes ne doit qu’exceptionnellement dépasser 6 mois. Cela suppose :
– la mise en place de moyens conséquents aux divers niveaux de procédure ;
– de mettre fin à certaines dérives comme la pratique de délais anormaux en préfecture (convocations à 14 ou 16 mois, transfert des demandeurs d’asile de préfecture en préfecture, refus infondé d’accepter les domiciliations associatives par exemple) ;
– que la décision d’accorder l’autorisation provisoire de séjour soit effective dès que la personne se présente en préfecture.
3- Accroître les moyens d’hébergement et d’accompagnement
Il est de la responsabilité de l’état d’améliorer la situation – aujourd’hui indigne – des demandeurs d’asile. Les associations demandent que, dès le prochain collectif budgétaire, l’État augmente sensiblement les moyens affectés à l’accueil, l’hébergement, l’accompagnement et la formation linguistique des demandeurs d’asile. Il faut créer 10 000 places supplémentaires en CADA si l’on veut désengorger le dispositif d’accueil et accueillir dignement les personnes. Une planification des capacités d’accueil est nécessaire, basée sur le principe de solidarité nationale : celle-ci n’a de sens que si l’ensemble des départements participe à l’effort d’accueil. L’instance nationale de régulation doit garantir le respect des critères d’entrée sur l’ensemble du territoire national et intervenir pour assurer la fluidité des dispositifs d’accueil locaux des départements et régions les plus confrontés aux difficultés de l’accueil. Les acteurs concernés doivent s’organiser autour de plates-formes d’accueil et de service aux demandeurs d’asile. Les orientations doivent être régulées dans le cadre de la veille sociale par une instance locale de coordination où sont représentés les responsables d’établissements.
4- Accueillir les mineurs étrangers à la rue
L’Aide sociale à l’enfance et la protection judiciaire de la jeunesse doivent assurer de façon effective la prise en charge de tous les enfants en difficulté, et pour cela les moyens humains et financiers doivent être renforcés.
Par ailleurs, le renforcement des moyens d’accompagnement est indispensable, se traduisant par la création de plusieurs centres d’accueil d’urgence ainsi que plusieurs centres d’accueil et d’orientation situés aussi près que possible des lieux d’arrivée.
5- Donner des ressources permettant de vivre dignement
Plusieurs types de ressources apparaissent nécessaires :
– une allocation ponctuelle au nouvel arrivant (actuelle allocation d’attente) pour la période de mise en route de l’aide plus pérenne ;
– une allocation pérenne au moins équivalente au RMI pendant toute la durée de la procédure, avec prise en compte de la composition familiale et de la solution d’hébergement retenue ;
– une aide pour les besoins liés aux procédures : traductions, bons de transports pour honorer les convocations, frais d’avocat.
6- Permettre de travailler et de se former
Les associations demandent avec force que le droit au travail soit à nouveau reconnu aux demandeurs d’asile, et que le droit à la formation linguistique et professionnelle soit affirmé. En effet, à défaut, il leur est impossible de vivre dans des conditions décentes et l’impossibilité de travailler ne peut avoir d’autre effet que d’alimenter les pratiques de travail clandestin et les filières de ceux qui les exploitent. Le travail est un droit fondamental, prévu par la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
*Demandeurs d’asile conventionnel : catégorie définie par l’article 1A2 de la Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié : « un réfugié est une personne qui craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Le statut de réfugié est accordé par l’OFPRA.
** Demandeurs d’asile territorial : catégorie définie par la loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers et des demandeurs d’asile du 11 mai 1998. Ce statut est attribué par le ministère de l’Intérieur aux personnes victimes de persécutions d’agents non étatiques. Cf. par exemple le cas des Algériens victimes de la violence des groupes intégristes. Celui qui obtient l’asile territorial est un « migrant » avec une carte de séjour d’un an.
*** Ce chiffre n’inclut pas les enfants mineurs accompagnants qui représentent de 12 à 15% du nombre des adultes. C’est donc environ 55 000 personnes au total qui ont demandé l’asile conventionnel, plus les 30 000 demandeurs d’asile territorial, soit au total 85 000 personnes qui ont demandé l’asile en France en 2001.