Lorsque vous recevrez ce LDH Info, le mois de janvier 2002 sera entamé et un regard en arrière sur cette première année du siècle laisse transparaître bien des interrogations. Nous savions ce millénaire plein de dangers, je doute que nous pensions qu’une partie d’entre eux s’expriment aussi fortement à l’aurore du siècle. Et de quelle façon ! Du sang et des larmes : aux USA, bien sûr, qui prennent conscience qu’ils ne sont pas invulnérables ; en Palestine, encore et toujours, où un peuple s’enfonce dans la souffrance et le déni d’existence et où Israël ne comprend pas que les ignobles attentats perpétrés contre sa population civile en sont la rançon ; en Afghanistan qui, après 20 ans de guerre, a dû supporter de nouveaux combats et de nouveaux bombardements. Raidissement des Etats aussi qui tentent de nous imposer, ici et là, une restriction des libertés. Et puis, le quotidien, si j’ose dire : le sida au Sud, les médicaments au Nord, la révolte des Argentins qui ne veulent pas mourir de faim et qui en ont assez d’être les bons élèves du FMI. Cet inventaire n’a rien de réjouissant, alors et surtout que G.W. Bush nous annonce que l’année 2002 sera une année de guerre et que la crise économique sévit partout. Tout cela, pourquoi ne pas le dire, fait froid dans le dos : nous sentons que nous sommes à la merci d’une folie supplémentaire et que l’idéologie guerrière qui prévaut au sein du gouvernement de la première puissance du monde accroît nos inquiétudes. Les situations se troublent au point où la chute, dont on doit se féliciter, d’un régime honni comme celui des talibans laisse quand même un goût amer si l’on veut bien se souvenir des alliances antérieures… On nous sert une histoire sans morale. On peut se dire que nous n’y pouvons rien, que tout cela nous dépasse et laisser faire les choses. On peut aussi se dire que l’on ne sait pas si en agissant nous ferons reculer l’insupportable, mais au moins ne pourrons-nous nous reprocher d’être restés inertes. Depuis plus d’un siècle, la LDH n’a jamais considéré que son action est limitée par le domaine du possible. Nous savons bien que le discours du réel, celui qui oppose à chaque revendication l’éternel « on voudrait bien mais vous savez bien que ce n’est pas possible », n’a jamais été que la manifestation d’un conservatisme aigu. A l’inverse, nous savons aussi que tout changer revient souvent à ne rien changer. Entre ces deux écueils, il nous faut adopter, non une voie moyenne qui serait vite sans effet, mais la volonté permanente de faire évoluer les choses, là où nous sommes et avec nos moyens, sans craindre d’être parfois à contre-courant. Nous continuerons ainsi à réaffirmer que la fin ne justifie pas les moyens, que les libertés individuelles et collectives passent avant les pouvoirs des Etats, que les droits de l’Homme ne sont pas respectés quand l’on ne dispose pas de moyens décents pour vivre ou que l’on ne peut maintenir, sans risques, une majorité de la population mondiale dans un état d’assujettissement. Certains diront que nous sommes angéliques, d’autres iront même jusqu’à nous traiter d’irresponsables voire de complices. Peu importe, sans prétendre détenir la vérité, sans ignorer que nous pouvons aussi nous tromper, il nous faut, encore et encore, alimenter cette conception de l’Humanité qui fait d’elle une communauté dont chaque membre, chaque collectivité a les mêmes droits. Ce combat là n’est ni illusoire ni irréaliste : il est la condition de la vie. Et la vie doit l’emporter sur cette culture de mort que l’on nous sert tous les jours. La vie c’est aussi la vie de chacun de nous avec notre volonté de bonheur. Dirais-je que nous avons le droit au bonheur ? Je crois avoir déjà écrit cela, au mois de décembre 2000. Mais je crois utile de répéter que notre combat n’a rien de celui de moines soldats. Lutter en faveur des droits de l’Homme, c’est d’abord aimer la vie et le plaisir de vivre. Bonne année à tous.