De nombreux emplois, dans le secteur public comme dans le secteur privé, demeurent encore interdits aux étrangers. Une trentaine d’organisations
Lettre ouverte au Premier ministre
Monsieur le Premier ministre,
A plusieurs reprises, votre gouvernement a affirmé sa volonté de combattre les discriminations frappant les ressortissants étrangers résidant en France. Dans ce cadre, une proposition de loi visant à éliminer les discriminations au travail a été déposée à l’Assemblée nationale le 13 septembre 2000. Cette initiative parlementaire en direction du secteur privé, aussi louable soit-elle, devrait être l’occasion de mettre un terme aux discriminations prévues par les textes en vigueur.
Il subsiste en effet dans notre droit un ensemble de textes – parfois très anciens – de valeur législative ou réglementaire refusant aux étrangers le bénéfice de certains droits ou leur interdisant l’accès à certains emplois ou fonctions.
Votre gouvernement a déjà posé les premiers jalons de la lutte contre ces discriminations. Lors d’une communication en Conseil des ministres le 21 octobre 1998, Madame la ministre de l’emploi et de la solidarité annonçait qu’il « sera procédé à une analyse exhaustive des différentes professions dont l’exercice est interdit, en droit, aux étrangers. (…) A l’issue de cette analyse, le gouvernement envisagera la suppression des discriminations qui n’ont plus aucune signification ». Suite à cette communication, un rapport a été commandé
[2]. Il n’a fait que confirmer les conclusions des autres études sur ce sujet [3] : la nécessité de supprimer ces discriminations.Dans le cadre d’une volonté globale et cohérente de lutte contre les discriminations, vous êtes conscient du rôle d’exemplarité qui échoit à l’État. Les discriminations légales, vous ne pouvez l’ignorer, forment le socle des discriminations illégales. L’abolition des premières favorise la disparition des secondes. La suppression des discriminations à l’égard des ressortissants des pays membres de l’Union européenne, tant dans l’accès à la fonction publique que dans l’accès aux professions réglementées, en a fait la démonstration et a amené les employeurs à modifier leurs pratiques de recrutement. Cette évolution favorable aux ressortissants communautaires n’affecte pas le fonctionnement de l’État et démontre que le maintien de la condition de nationalité n’est pas inéluctable.
De surcroît, cette condition de nationalité doit disparaître car elle viole manifestement le principe d’égalité garanti par les textes constitutionnels et les engagements internationaux souscrits par la France.
Dans un premier temps, il vous appartient dans le cadre de l’exercice de votre pouvoir réglementaire de permettre aux étrangers non communautaires d’accéder aux emplois dans les entreprises publiques ainsi que dans les secteurs parapublic et privé. Il est de votre compétence et de votre responsabilité d’abroger les textes litigieux.
Mais la lutte contre les discriminations doit également s’appliquer aux emplois de la fonction publique non régalienne. Près de cinq millions d’emplois sont concernés.
L’impératif de non-discrimination commande l’ouverture à tous les étrangers de cette partie du secteur public où la souveraineté de la France n’est pas en jeu comme l’atteste la présence de ressortissants des pays de l’Espace économique européen (Union européenne et Norvège, Islande, Liechtenstein). Du reste, les étrangers non ressortissants de l’Espace économique européen participent déjà au fonctionnement du service public, sous couvert de statuts spéciaux, précaires, dévalorisés, en un mot discriminatoires. L’accès aux emplois dans les administrations françaises est ainsi reconnu aux étrangers tandis que l’accès au statut de fonctionnaire leur est interdit. Il vous incombe de faire cesser cette discrimination.
C’est pourquoi, nous avons l’honneur de vous demander :
- d’abroger les textes réglementaires contraires à la constitution et aux engagements internationaux ;
- de constater, par la voie réglementaire, l’inapplicabilité des textes législatifs discriminatoires ou de saisir le Parlement.
Vous remerciant de l’attention que vous pourrez porter à notre demande, nous vous prions de bien vouloir recevoir, Monsieur le Premier ministre, nos salutations respectueuses.
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[1]
Association des juristes européens pour la démocratie et les droits de l’Homme dans le monde ;Association française des juristes démocrates ; Association des Marocains en France (AMF) ; Association des travailleurs de Turquie de France (ATTF) ; Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF) ; Conseil départemental des associations laïques de la Loire (CDAFAL 42) ; Cedetim ; Cimade ; Collectif toulousain de lutte contre les discriminations ; Emmaüs France ; Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI) ; Femmes de la Terre ; Fédération tunisienne pour une citoyenneté des deux rives (FTCR) ; Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) ; Ligue des droits de l’Homme (LDH) ; Ligue communiste révolutionnaire (LCR) ; Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peules (MRAP) ; Observatoire du droit des usagers dans les institutions sociales (ODUIS) ; Parti communiste français (PCF) ; Réseau pour l’autonomie juridique des femmes immigrées et réfugiées (RAJFIRE) ; Service nationale de la Pastorale des migrants (SNPM) ; SGEN-CFDT ; SOS Racisme ; SUD Éducation ; SUD-PTT ; SUD Rail ; Syndicat de la magistrature ; Union locale CGT Saverne ; Les Verts.[2] Bernard Bruhnes Consultants, Les emplois du secteur privé fermés aux étrangers, Rapport pour la DPM, novembre 1999
[3] Notamment, dès 1991, Conseil national des populations immigrées, Égalité des droits, 1991 ; CERC-Asso, Immigration, emploi et chômage. Un état des lieux empirique et théorique, Les dossiers du CERC-Asso, n°3, mars 1999 ; Jean-Michel Belorgey, Lutter contre les discriminations, rapport à Madame la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, mars 1999 ; note du Groupe d’étude sur les discriminations, Une forme méconnue de discrimination, les emplois fermés aux étrangers : secteur privé, entreprises publiques, fonctions publiques, mars 2000