2000 – RAPPORT ANNUEL – 18 et 19 novembre – La laïcité à l’épreuve de la diversité

Pour sa 6ème édition, l’Université d’automne de la LDH s’est tenue les 18 et 19 novembre à Paris à l’École nationale supérieure des télécommunications ; le thème directeur en était : « La laïcité à l’épreuve de la diversité – Égalité et pluralisme en France et en Europe ». Elle a accueilli 400 personnes durant ces deux journées. Un numéro spécial d’Hommes & Libertés et Après-Demain est sorti en mai 2001 sur ce thème.

INTRODUCTION AUX DEBATS 

Un large consensus, des doutes persistants

Il y a d’évidence un large consensus aujourd’hui en France autour de l’idée laïque, tant au niveau du principe que de sa traduction institutionnelle. Cette unanimité, que ne troublent que de rares voix, n’empêche pourtant pas la résurgence périodique d’interrogations sur la capacité de résistance de « la laïcité à la française » face au nouveau paysage religieux du pays, marqué entre autres caractéristiques par la sédentarisation de populations d’origine musulmane. Et sans atteindre l’intensité médiatique de l’affaire de Creil, d’autres débats traversent le mouvement laïque constitué et révèlent les doutes et les interrogations qui l’assaillent. Il en est ainsi des craintes que nous sentons monter à propos de l’unification européenne et des menaces qu’elle recèlerait pour nos institutions laïques, ou des peurs suscitées par l’évolution des pays de l’Europe de l’Est ou du Sud de la Méditerranée.

Fruit d’une évolution historique à cheval sur deux siècles – près de vingt ans entre les lois scolaires des années 1880 et la loi de séparation pour ne pas remonter jusqu’à la constitution civile du clergé –, le dispositif laïque français a montré d’incontestables vertus intégratrices. Non seulement parce qu’il a permis dès sa mise en place aux religions minoritaires historiques de l’hexagone, le protestantisme et le judaïsme, de s’y insérer sans difficultés particulières, mais aussi parce qu’il a facilement accueilli « la conversion » du catholicisme à sa philosophie ou du moins à ses dispositions institutionnelles. Et l’on sait que celle-ci ne s’est faite qu’au prix d’une douloureuse et lente évolution interne du catholicisme qu’accéléra le vent de l’histoire : il faudra ainsi l’union sacrée qui se noue durant la tragédie de 14-18 entre les tenants des « deux France » pour effacer les traces durables de l’après 1905 et pour que « les cultuelles » puissent sans déchirements être adoptées durant les années vingt par les catholiques français.

Consacré après la Libération par le préambule de la Constitution, ce consensus n’empêche pas la résurgence régulière de débats à tonalité polémique, particulièrement visible depuis le tournant de 1984. Ce « regain de vitalité » du débat sur la laïcité, bienvenu et salutaire, est néanmoins obscurci par la perception que certains secteurs de la société ont de ce patrimoine et de sa genèse. D’où de nombreuses méprises et faux procès.

En France comme en Europe : un nouveau paysage culturel et religieux

Conséquence naturelle des mouvements migratoires et de la décolonisation, « l’accentuation de la diversité des croyances » (René Rémond, 1992), est l’un des traits marquants de la France d’aujourd’hui et cette diversité, tout porte à le croire, ne peut que se renforcer à l’avenir, en dépit des politiques de contrôle des flux mises en place depuis 1974.

Depuis la fin des années cinquante, cette diversification s’est faite à un rythme excessivement rapide, un « délai fort court au regard du rythme ordinaire des évolutions religieuses » (R. Rémond) et c’est peut être autant le rythme que l’ampleur du phénomène qui déroutent les opinions et les responsables publics, habitués malgré tout à un paysage religieux stabilisé, avec une religion dominante (le christianisme) et quelques religions minoritaires historiques (principalement le judaïsme). L’émergence de ce que nous proposons d’appeler les nouvelles religions européennes se fait dans un paysage religieux mouvant : montée de l’incroyance, progrès de l’indifférence religieuse, dynamisme des religions orientales, développement sectaire,…

Visible en France où l’Islam est en passe de se sédentariser et où la communauté juive a été profondément transformée par l’arrivée depuis 1962 des communautés religieuses d’Afrique du Nord, cette évolution est observable dans tous les autres pays d’Europe, y compris dans les anciennes terres d’émigration comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal ou la Grèce. Partout, l’immigration post-coloniale et la fin des empires coloniaux ont pour conséquence le développement de la diversité.

Quelle que soit la spécificité de l’histoire nationale, chaque pays d’Europe est ainsi confronté au pluralisme. Dans ce contexte, on aurait tort d’imaginer une France laïque, isolée au sein d’une Europe « cléricale ». Dans plusieurs pays, les rapports entre politique et religion sont mouvants. Depuis la mort de Franco et la Révolution des oeillets, les rapports institutionnels entre l’Église catholique et l’État ont été refondés en Espagne et au Portugal ; en Italie et en Irlande, les débats sur des questions comme le divorce ou la contraception ont été et sont toujours vifs.

Mais surtout, n’avons-nous pas trop souvent tendance à opposer schématiquement la laïcité française au reste des dispositifs institutionnels régissant dans ces pays les relations entre religion et politique. L’organisation de l’enseignement (places respectives du public et du privé, du catéchisme,…), le financement du culte,  diffèrent en effet d’un pays à l’autre. Il n’empêche ; tous les citoyens de l’espace européen semblent convaincus de la nécessaire distance entre le politique et le religieux. On peut ainsi parler d’une « laïcité culturelle » commune que Jean-Paul Willaime définit ainsi : « neutralité confessionnelle de l’État et de la puissance publique, reconnaissance de la liberté religieuse (y compris la liberté de non-religion), reconnaissance de l’autonomie de la conscience individuelle (liberté personnelle de l’homme et de la femme par  rapport à tous les pouvoirs religieux et philosophiques), réflexivité critique appliquée à tous les domaines (religion, politique, science…) ».

Au-delà du statut de la religion dans l’espace public, le problème des frontières entre sphère publique et sphère privée

Contrairement à ce qu’on imagine communément, le concept de laïcité ne se réfère pas seulement à la question religieuse ; il renvoie à un principe beaucoup plus général de séparation entre la sphère publique et la sphère privée et selon lequel les institutions de la sphère publique, qui tirent leur légitimité de leur ancrage dans des valeurs transcendantes et universelles, doivent être protégées contre toute interférence des réalités contingentes et particulières de la sphère privée.

Ce principe de séparation radicale garantit théoriquement l’égalité des citoyens qui entrent dans l’espace public dépouillés de tout ce qui pourrait les distinguer les uns des autres, donc rigoureusement semblables. Les particularismes individuels ou collectifs, ou les revendications identitaires (opinions philosophiques et croyances religieuses, sexe et orientations sexuelles, origine ethnique et traditions culturelles et linguistiques, etc.) relèvent de la seule sphère privée et doivent y rester cantonnés. Ce principe protège ainsi, non seulement la sphère publique de la contamination d’éléments de la sphère privée, mais à l’inverse, il protège également la « vie privée » des individus de l’interférence des « pouvoirs publics ».

A l’évidence, une certaine distance a toujours existé entre la pureté théorique de ce principe et la réalité des situations concrètes. Mais certaines évolutions récentes incitent à pousser plus loin l’interrogation et à se poser la question d’une nouvelle définition du concept lui-même.

En effet, une des tendances lourdes des évolutions culturelles actuelles est la volonté des individus d’entrer dans l’espace public revêtus de tous leurs signes distinctifs, de toutes leurs appartenances particulières qui constituent leur personnalité propre ; c’est porteurs des caractéristiques de cette identité spécifique qu’ils veulent jouer leur rôle de « citoyens », prendre leur part à la construction du bien commun et des règles communes de sa gestion.

La question est donc désormais la suivante : au lieu de rêver d’une impossible séparation, comment réarticuler les particularismes de la sphère publique, comment reconstruire la citoyenneté en mobilisant conjointement le « mouvement d’en haut » de l’universalisme abstrait du droit et de la loi, imposant aux citoyens la neutralité de l’espace public qui les réunit, et le « mouvement d’en bas » des particularismes concrets apportant à la collectivité l’énergie civique de citoyens revendiquant une part active à la construction d’un espace public ouvert à la diversité de leurs identités et auquel ils puissent dès lors s’identifier et participer pleinement ?

THEMES ABORDES

  Les acquis de la laïcité

La laïcité française : genèse et définition(s)

  • Laïcité et institutions : présentation juridique
  • Les évolutions de fond du paysage religieux en France
  • Femmes et religion

 Les questions d’aujourd’hui

  • La laïcité au défi du pluralisme
  • ATELIER 1 – La laïcité face à la diversité : expériences historiques (judaïsme et protestantisme) et expérience des populations immigrées (catholiques et musulmanes).
  • ATELIER 2 – Le mouvement laïque et l’école : les interrogations et les clivages durant les vingt dernières années (la question scolaire depuis 1984, l’école aujourd’hui,…).
  • ATELIER 3 – Sectes et fondamentalisme : croyances, intolérances anciennes et nouvelles, démocratie : quelles régulations ?
  • ATELIER 4 – Nouveaux défis : identités, appartenances, communautés : cultures, langues régionales,…

 Sphère publique / sphère privée : nouvelles frontières : quelle articulation aujourd’hui entre espace public et vie privée.

 La France, l’Europe et la diversité : comment a-t-on géré l’émergence de nouvelles religions minoritaires dans d’autres pays d’Europe.

Être laïque au XXIe siècle

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