Comment expliquer la non concrétisation du droit de vote des étrangers ? A cette question, plusieurs réponses. INtervention de Frédéric Tiberghien, Conseiller d’Etat, chargé de la synthèse des débats du colloque du 14 décembre 2012.
D’une manière générale, La France ouvre le droit de vote avec réticence et parcimonie, et toujours très tard par rapport à la plupart des pays étrangers. Le précédent du vote des femmes a été largement rappelé et commenté, notamment avec le contre-exemple de la Nouvelle-Zélande. On peut y ajouter la situation aux colonies avant les indépendances des années 1960 : le droit de vote y a été distribué de manière très tardive et très restrictive alors qu’en Nouvelle-Zélande, par exemple, les étrangers sont admis au vote depuis 1852.
La France a peu d’expatriés hors de ses frontières. Pays d’immigration plutôt que pays d’émigration, il n’a jamais attaché beaucoup d’importance aux droits reconnus à ses expatriés. Or, il a été montré que la reconnaissance du droit de vote aux étrangers venait plus vite et plus tôt dans les pays qui, comme l’Espagne, comptent de substantielles colonies d’expatriés. Dans ces pays, une diplomatie active cherche à obtenir cet avantage pour les ressortissants nationaux établis à l’étranger et le concède volontiers au titre de la réciprocité.
Comme la concession du droit de vote aux étrangers suppose, depuis la décision du Conseil constitutionnel de 1992, une modification de la constitution, l’affaire est devenue plus difficile et plus complexe car on ne modifie pas aussi facilement la constitution qu’on vote une loi ordinaire.
Et si cette non-concrétisation traduisait les réticences de la France à favoriser l’intégration des étrangers ? Cette question doit être posée à la suite de trois observations fondamentales faites au cours de la journée.
En premier lieu, C Lalumière a rappelé lors de l’ouverture de nos débats l’injonction paradoxale adressée par notre pays aux étrangers séjournant sur son sol : surtout intégrez-vous mais ne votez pas !
En deuxième lieu, l’Union européenne retient le droit de vote aux élections locales comme l’un des indices ou des indicateurs de l’intégration des étrangers dans les Etats membres.
En troisième lieu, le droit de vote constitue pour les étrangers, dans les pays où il a été accordé, une étape dans un parcours d’intégration ou dans le processus qui mène à la naturalisation.
Ce n’est ni le lieu ni le moment de dresser à nouveau la liste des nombreux obstacles mis à la correcte intégration des étrangers dans notre pays, qu’il s’agisse du passage de la frontière, de l’accès aux papiers, de l’accès au marché du travail, de l’accès au logement, de l’accès à une protection sociale ou aux soins, de l’accès déjà évoqué à la naturalisation, des discriminations de tous ordres dont sont encore trop fréquemment l’objet les étrangers… Finalement, on pourrait peut-être analyser le refus du droit de vote aux étrangers comme un refus plus global de favoriser une intégration réussie des étrangers en France ?
Cette hypothèse mérite d’autant plus d’être creusée que ce matin, Dirk Jacobs, de l’Université libre de Bruxelles, a très bien montré, à partir de l’exemple belge, que la reconnaissance de ce droit avait très peu de conséquences politiques mais en avait de nombreuses quant à l’amélioration de la vie quotidienne des intéressés.