Texte d’Henri Leclerc et Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières (publié dans Le Monde le 16 mars 2000) :
Depuis le mois d’octobre 1999, le photographe français Brice Fleutiaux est détenu en Tchétchénie. Parti de Toulouse le 28 septembre pour Ankara, il a rejoint la Tchétchénie le 1er octobre au matin et tenté de rentrer en contact avec la présidence tchétchène à Grozny. On a perdu sa trace dans l’après-midi. Le photographe aurait été kidnappé par l’une des bandes armées qui sévissent dans la région. Il serait actuellement détenu près de la frontière avec la Géorgie, théâtre de violents combats opposant les rebelles tchétchènes aux forces russes.
Dans un texte, accompagné d’une cassette vidéo, rendu public par les services de sécurité russes le 31 octobre dernier, Brice expliquait qu’il était venu en Tchétchénie « pour travailler ». « Je me trouve dans une cave, sans lumière, ni électricité, ni fenêtre, écrivait-il. Mes geôliers arrivent à n’importe quelle heure et me frappent avec leurs armes. Je suis malade depuis une semaine. Les conditions sont insupportables (…) Faites quelque chose au plus vite. »
Ensuite, trois autres messages sont parvenus à sa famille par le biais du Quai d’Orsay : deux mots écrits à la main, le 26 novembre 1999 et le 19 janvier 2000, dans lesquels il précisait qu’il espérait être libéré au plus vite. Entre temps, une deuxième cassette vidéo, datée de la mi-décembre, a été remise aux services de sécurité français. Selon ce document, ses conditions de détention et sa santé se seraient améliorées. Des responsables tchétchènes en exil ont affirmé, fin janvier, que le photographe aurait été « libéré » mais serait dans l’impossibilité de quitter la Tchétchénie en raison des combats. Depuis, on est sans nouvelles de lui.
Il faut tout faire pour obtenir la libération de Brice Fleutiaux. Rien ne saurait justifier un procédé aussi lâche que la prise d’otage, la séquestration pendant des mois d’un homme venu simplement témoigner des malheurs et des souffrances d’un peuple. Ni les bombardements aveugles de l’armée russe, ni les exactions, ni les viols, ni les camps de détention, ni les milliers de morts, ni les dizaines de milliers de réfugiés ne peuvent servir d’excuse à ce véritable chantage à la mort.
A ceux qui retiennent Brice, nous voudrions dire que la cause tchétchène qui nous mobilise ne peut montrer aujourd’hui le visage de la barbarie. A ceux qui, avec raison, combattent l’intervention russe, qui protestent contre la passivité de nos démocraties, nous demandons d’agir aussi en faveur de Brice.
Aux journalistes et aux médias nous voudrions rappeler que, depuis janvier 1997, 20 journalistes ont été kidnappés en Tchétchénie et au moins 13 autres tués au cours des deux guerres qu’a connues cette petite République. Le dernier en date, le photographe russe Vladimir Yatsine, enlevé depuis août 1999, aurait été exécuté par ses ravisseurs. Se mobiliser pour Brice, c’est aussi défendre le droit de faire son métier là où il est urgent, essentiel, que des journalistes se rendent pour montrer et raconter.
Aux diplomates français, nous disons qu’il faut saisir toutes les occasions pour intervenir en faveur de Brice Fleutiaux, qu’il faut encore et toujours parler, plaider, convaincre. Avec obstination.
A Dana, l’épouse de Brice, à sa mère, Monique, à son frère, Cédric, qui se battent sans relâche, nous voudrions redire notre solidarité, notre amitié et notre respect. En novembre dernier, Brice Fleutiaux a eu trente-trois ans. Il est le père d’une petite fille de quatre ans, Sarah. Il est urgent de se mobiliser.