Préface d’Henri Leclerc à Lettre ouverte aux américains pour l’abolition de la peine de mort de Michel Taube et Benjamin Menasce (éditions l’Écart) :
Il y a plus d’un siècle, en 1859, aux États-Unis, John Brown, qui s’était lancé dans une audacieuse action contre l’esclavage avait été condamné à mort avec deux de ses camarades à l’issue d’un procès scandaleux. Il attendait son exécution. Victor Hugo, depuis son exil, poursuivait son inlassable combat contre la peine de mort qu’il considérait comme une insupportable survivance de la barbarie au XIXe siècle. Il s’adressa au peuple américain : « J’affirme que cela ne s’est pas passé en Turquie mais en Amérique. On ne fait pas ces choses-là impunément en face d’un monde civilisé. La conscience universelle est un œil ouvert… et quand on dit que cette nation est une gloire du genre humain, que comme la France, comme l’Angleterre, comme l’Allemagne, elle est un des organes de la civilisation, que souvent même elle dépasse l’Europe dans certaines audaces sublimes du progrès, qu’elle est le sommet de tout un monde, qu’elle porte sur son front l’immense lumière libre, on affirme que John Brown ne mourra pas. Quant à moi qui ne suis qu’un atome, mais qui, comme tous les hommes, ai en moi toute la conscience humaine, je m’agenouille en larmes devant le grand drapeau étoilé du nouveau monde, et je supplie à mains jointes, avec un respect profond et filial cette illustre République américaine d’aviser au salut de la loi morale universelle ».
John Brown fut exécuté. Ces mots bouleversants n’avaient pu sauver un homme. Que pouvons-nous faire aujourd’hui pour les 3.700 personnes qui attendent pendant des années, au fond des sinistres couloirs de la mort, qu’on les tue ? Les Américains ne sont pas toujours sourds aux cris du monde. Ils ont naguère su entendre ceux qui les appelaient au secours et leurs cimetières, ici même, en témoignent. Mais ils traitent avec mépris ceux qui les supplient de mettre un terme à des actes de barbarie qu’ils commettent chaque jour chez eux. Ils se veulent les guides et les gendarmes du monde au nom d’une « loi morale universelle » qu’ils ne cessent d’invoquer mais ne respectent pas, donnant ainsi aux tyrans le pire des exemples. Devant cette absurde horreur, ce livre exprime à la fois la tristesse d’amis désemparés et la colère de ceux qui luttent pour l’universalité des droits de l’homme.
Car, c’est au nom d’une conception progressiste du monde que des milliers de Chinois sont exécutés au petit matin d’une balle dans la nuque et c’est au nom d’une conception religieuse que des femmes adultères sont lapidées en certaines terres d’Islam. C’est au nom de la démocratie que l’on tue en Amérique. La vérité est que la peine de mort est un acte sauvage qui ne trouve sa justification que dans le mensonge. Elle ne sert ni à combattre ni à prévenir le crime mais répond au désir de vengeance, à la soif de cruauté que des siècles de civilisation n’ont pas éradiqué du cœur de l’homme, tout en protégeant les consciences individuelles par le soin laissé à l’État de donner la mort.
Les gouvernements européens doivent agir. Ils exigent bien des pays africains qu’ils établissent des normes démocratiques pour alléger le poids de la dette qui les écrase. Ne sont-ils pas allés jusqu’à bombarder Belgrade au nom du peuple albanais martyr du Kosovo ? La République, l’Europe ne peuvent plus garder le silence en feignant d’ignorer les suppliciés des couloirs de la mort. Elles doivent parler pour les sauver. Au nom de la « conscience universelle ».