Texte commun AMJF – ANAFE – GISTI – LDH –Syndicat de la magistrature
L’examen fait par le gouvernement de la situation des « étrangers mineurs isolés » et les propositions qui en découlent appellent quelques observations que nous ferons en référence à l’esprit et à la lettre de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), que notre pays a signée et ratifiée, ainsi qu’à l’esprit et à la lettre qui fondent notre Constitution et les lois qui envisagent les droits des mineurs.
Rappelons que l’âge limite de la minorité, fixé par la CIDE à 18 ans, est le même que celui fixé par le Code civil, que tous les mineurs sont égaux devant la loi sans distinction de nationalité.
Nous rappelons pour mémoire qu’il y a eu déjà plusieurs avis de la CNCDH sur le sujet, avis restés sans suite. Il y a d’autant plus urgence aujourd’hui à renforcer le dispositif de protection juridique et la coordination entre les différents intervenants. Ces dispositions devraient permettre d’appliquer et d’améliorer le dispositif de lois existant.
- L’ambiguïté de l’objectif du gouvernement
Le projet du gouvernement ne constitue pas, en effet, une réponse globale à la situation difficile des mineurs étrangers isolés ; il ne s’accompagne d’aucune disposition visant à améliorer la lutte contre les réseaux criminels de prostitution et de travail clandestin ou améliorant le dispositif de protection de ces mineurs. La situation du mineur étranger isolé n’est abordée qu’à travers le prisme déformant et réducteur de l’admission sur le territoire français ; cette démarche ne permet donc pas de réfléchir à des solutions diversifiées reflétant la grande variété des situations humaines rencontrées ; méconnaissant la réalité et la gravité des dangers encourus par ces mineurs, la finalité du projet gouvernemental se borne à faciliter le refoulement et le retour de ces mineurs dans le pays de provenance qui n’est d’ailleurs pas forcément le pays d’origine, au mépris du principe de précaution et des règles de protection dues aux mineurs quelle que soit leur nationalité ou leur situation administrative.
- Les incertitudes du cadre juridique actuel
Le gouvernement justifie son dispositif par les insuffisances ou les carences de la législation actuelle ; il est exact que le cadre juridique dans lequel s’exercent actuellement le placement du mineur en zone d’attente ou son maintien est totalement incertain ; le gouvernement soutient que l’article 35 quater de l’ordonnance de 1945 sur les étrangers, en n’opérant pas de distinction entre mineurs et majeurs, s’applique dès lors aux premiers ; pourtant, le législateur a clairement posé l’interdiction de la reconduite à la frontière ou de l’expulsion d’un mineur, au regard des dangers inhérents à ces retours forcés ; il est pour le moins surprenant que le même souci n’ait pas prévalu à l’égard des mineurs arrivant dans les zones portuaires ou aéroportuaires. Mais l’argument retenu par les juges délégués pour déclarer irrecevables les demandes de maintien en zone d’attente est l’absence de capacité juridique de ces mineurs ; curieusement, le gouvernement qualifie de « difficulté » cette jurisprudence et imagine un artifice permettant de contourner un problème de droit que ne pouvaient que manquer de soulever les magistrats. Il ne s’attarde pas sur le fait que la décision administrative de placement initial dans la zone d’attente d’un mineur, privé de représentant légal, est tout aussi dénuée de fondement juridique et que pourtant ces situations perdurent sans qu’aucune instruction ne soit donnée à la police aux frontières pour y mettre fin.
- La remise en cause d’un principe fondamental : la majorité légale
Il s’agit donc pour le gouvernement de faire échec à une jurisprudence qui avait le mérite de rappeler les principes juridiques fondamentaux ; pour ce faire, l’unique parade consiste à remettre en question l’un de ces principes fondamentaux : la majorité légale ; le mineur isolé de 16 à 18 ans se verra doté d’une capacité juridique partielle qui lui permettra de se voir notifier les décisions de maintien en zone d’attente, voire de placement initial ; et de les contester le cas échéant. Le mineur de moins de 16 ans se verra représenter par un administrateur ad hoc, qui ne pourra agir que dans le cadre de cette procédure. La plupart des mineurs isolés se trouvant dans le premier cas, c’est-à-dire âgés de plus de 16 ans, vont ainsi voir leur situation aggravée puisque rien ne s’opposera plus à leur refoulement si le juge délégué ne relève pas d’irrégularité dans la procédure. Ce mécanisme aura pour effet de rendre inopérant l’ensemble du dispositif de protection des mineurs qui ne pourra jouer que de manière exceptionnelle lorsque le juge délégué aura rejeté la demande de maintien en zone d’attente.
- Le dispositif de protection et ses failles
Pourtant, ces règles de protection existent même si leur application est inégale. Il aurait été utile que le gouvernement analyse sérieusement les difficultés et les résistances à l’application de la loi ; on en connaît certaines :
– le procureur est trop rarement ou trop tardivement prévenu de l’existence d’un mineur en zone d’attente, ce qui a pour effet de l’empêcher de prendre les mesures nécessaires, au titre de l’article 375 du Code civil lui permettant, en cas de danger, de saisir le juge des tutelles pour qu’un tuteur soit désigné aux fins de représenter le mineur dans tous les actes juridiques ;
– quelques juges de tutelle refusent de se saisir de ces situations après un simple signalement ; ces décisions isolées sont pourtant dépourvues de motivation juridique fondée en présence des textes clairs prévoyant l’ouverture d’une tutelle lorsque les parents sont hors d’état de manifester leur volonté du fait de leur absence ou de leur éloignement (art. 390 et 373-1 du Code civil) ;
– l’absence de tout représentant de l’ASE dans les zones d’attente rend illusoire l’application de l’article 56 du Code de la famille et de l’aide sociale prévoyant qu’en cas d’urgence et en l’absence du représentant légal, le mineur est recueilli provisoirement par le service de l’aide sociale à l’enfance qui doit rechercher les parents et saisir le Procureur de la République à l’issue d’un délai de 5 jours. Rappelons que ces règles ne sont nullement conditionnées par des critères de nationalité ou de situation administrative. Pourtant, on a vu des Conseils généraux refuser de prendre en charge le cas de ces mineurs étrangers.
C’est l’ensemble de ces situations de non droit qu’il importait de clarifier en améliorant notamment la coordination des intervenants pour éviter que chacun ne se renvoie la balle, aggravant ainsi la situation de ces mineurs particulièrement vulnérables.
Il est regrettable de constater que dans sa saisine de la CNCDH, le Premier ministre envisage d’adopter des mesures dérogeant au système de protection des mineurs actuellement existant qui, s’il était appliqué de manière satisfaisante, serait parfaitement adapté.
Dans ce contexte, l’abaissement de l’âge de la majorité légale et la création de différentes catégories de mineurs (avant 16 ans et après 16 ans) sont inacceptables et contraires au droit interne et international.
- L’arrivée des mineurs étrangers dans les aéroports et les ports
Dès lors qu’une personne se déclare comme mineure, elle doit bénéficier d’une présomption de minorité permettant de prévenir les dangers qui l’ont conduite à fuir son pays, que ce soit pour des raisons politiques ou personnelles (persécutions politiques, mise en cause dans un réseau de prostitution ou de drogue, difficultés personnelles ou familiales…).
Cette présomption de minorité et de danger conséquente doit amener la police aux frontières à avertir immédiatement le Parquet en vue de la saisine immédiate du juge des tutelles et du juge des enfants.
Cette double présomption entraîne la mise en place rapide d’une protection indispensable du mineur isolé.
Celle-ci ne peut être assurée de manière satisfaisante que si le mineur est admis sur le territoire français et qu’il est à l’abri de tout risque de refoulement hors de France.
En effet, compte tenu de la gravité de sa situation, il est indispensable d’évaluer dans les meilleurs délais les mesures appropriées qui doivent être prises en sa faveur.
Ces mesures peuvent aboutir à une mesure de placement, des investigations sur les origines familiales, la prise de contacts avec des membres de la famille se trouvant soit dans le pays d’origine, soit dans un pays tiers, le dépôt d’une demande d’asile… Mais elles peuvent également conduire le mineur à quitter la France, vers son pays d’origine et non pas celui de provenance avec lequel il n’a aucune attache et comme cela est le plus souvent le cas. Ce retour doit être compatible avec la protection qui s’impose et organisé de telle sorte qu’une prise en charge effective soit assurée dès son arrivée.
Ainsi, dans tous les cas et dès l’arrivée du mineur étranger, un tuteur sera désigné aux fins d’assurer la représentation juridique du mineur dans l’ensemble des actes juridiques nécessaires, ce qu’un simple administrateur ad hoc ne peut assurer par définition, ses compétences étant à la représentation du mineur dans une procédure donnée. La volonté du Premier ministre de voir les droits du mineur renforcés serait ainsi satisfaite.
Ces préconisations s’inscrivent dans la ligne des recommandations émises avec fermeté par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le 3 juillet 1998 à propos de l’accueil en France des mineurs étrangers non accompagnés.
Dans cet avis, la Commission souligne en effet que l’admission sur le territoire d’un mineur doit être immédiate, qu’une attention particulière doit être portée pour toute demande d’asile émanant d’un mineur, tant à propos de la procédure qu’à celui de l’instruction même.
Toujours avec le souci de la protection particulière qui s’impose, elle ajoute que la Procureur de la République doit immédiatement être avise de la situation de chaque mineur en vue de la saisine du juge des enfants et du juge des tutelles.
Elle recommande en outre une représentation générale de l’enfant dans l’ensemble des actes de procédure, qui ne sont pas limités à la reconnaissance du statut de réfugié.
La Commission affirme clairement que l’intérêt de l’enfant doit primer sur toute autre considération. Rappelé dans le cadre de la saisine relative aux demandes d’asile, ce principe fondamental s’applique a fortiori à toute situation mettant en cause un mineur.
- La demande d’asile
L’abaissement de la majorité légale à 16 ans aux fins de permettre au mineur d’exercer ses droits dans la procédure de demande d’asile est non seulement inacceptable au plan des principes mais inutile au regard de l’objectif recherché ; en effet, malgré ce qui a été affirmé par la Premier ministre et ainsi que cela a été formellement constaté par la Commission, l’OFPRA enregistre en pratique toutes les demandes d’asile qui lui sont présentées par des mineurs.
Toutefois, cet enregistrement résultant d’une simple pratique, toujours révocable, il est nécessaire d’envisager la saisine systématique du juge des tutelles pour représenter le mineur dès le début de la procédure devant l’OFPRA et le cas échéant devant la Commission des recours des réfugiés.
Enfin, dans l’avis précité du 3 juillet 1998, la Commission avait conclu que les meilleurs conditions matérielles d’accueil et d’orientation devaient être assurées aux mineurs. Pour ce faire, l’ensemble des intervenants devront disposer des meilleurs moyens financiers et structurels. Ceux-ci doivent être fixés au niveau national et pris en charge par l’État.
Rappelons enfin que dans son rapport au Parlement sur l’application en France de la CIDE, à l’occasion de la Journée des droits de l’enfant du 20/11/1999, le ministère des Affaires sociales – conscient de la nécessité de prévoir un accueil adapté pour ces jeunes mineurs – avait déjà proposé la création de centres ad hoc.
Paris, le 4 septembre 2000