EDITO C’est toujours quand elle perd confiance en la force de sa raison que la démocratie dérape. La loi doit être « la même pour tous soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » et quelles que soient les attaques dont elle est l’objet et les menaces qui pèsent sur elle, la République se met en danger lorsqu’elle déroge à ce principe. Dans le domaine des libertés publiques, les lois d’exception, les procédures spéciales, les pratiques illégales tolérées sous prétexte d’efficacité portent en elle le germe de dérives de l’État de droit. Lorsque, il y a trois ans, les assassinats ensanglantaient la Corse et que, d’étrange façon, l’État se révélait impuissant à faire cesser ce massacre, allant jusqu’à tolérer que des centaines d’hommes armés réunis et masqués le défient, nous avons protesté avec les femmes corses qui, en citoyennes, manifestaient pour réclamer le retour de la paix publique et un fonctionnement démocratique des institutions et de la justice. Après l’assassinat du préfet Erignac, nous nous sommes félicités de la volonté affirmée par le gouvernement de voir rétablis les mécanismes de l’État de droit. Mais nous n’avons cessé de protester contre les pratiques de la justice « antiterroriste » confirmées par le rapport fait à ce sujet, à notre demande, par la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme. Des gendarmes et ceux-là mêmes qui représentaient cet État, et au nom de ce qu’ils croyaient être sa raison, se sont cru autorisés à bafouer la loi républicaine en allant jusqu’à commettre des actes qualifiés juridiquement comme des crimes. Il est bien que la justice « ordinaire » ait réagi avec célérité. Elle doit passer simplement avec indépendance et impartialité. Mais les responsabilités politiques de ces dérives en Corse, qui ne commencent pas avec la création du GPS, doivent être clairement établies. L’élucidation annoncée des conditions dans lesquelles a été organisé et perpétré l’assassinat du préfet Erignac, et la mise en examen de ceux qui sont accusés d’avoir commis cet acte, sont le résultat d’une enquête policière difficile, mais il est faux de prétendre qu’elle justifie l’existence des procédures spéciales de la législation antiterroriste mise en place en 1986. Il est grand temps qu’en Corse soit appliquée la loi républicaine mais aussi que l’on s’interroge courageusement, là aussi, sur cette exigence de notre Manifeste du centenaire qui veut que nous trouvions les voies pour « conjuguer le souci de l’universel avec le respect de la diversité des cultures ».