EDITO
L’annonce par Michelin de 7.500 suppressions d’emplois dans le même temps où la firme se vantait d’avoir réalisé sept milliards de bénéfice a secoué l’opinion. Justement. Le rapprochement des deux chiffres est insupportable. Car ces profits prélevés par le capital sur l’entreprise représentent dix ans du salaire de la totalité de ceux qu’on va priver de leur travail. La suprématie du droit de propriété sur le droit du travail apparaît ici dans une lumière crue.
Pourtant qu’y a-t-il là de nouveau ? Ce choix des dirigeants de l’entreprise, privilégiant les gains de productivité, est dans la logique implacable de la société libérale et de l’économie de marché dont on nous assure qu’elle est la forme indépassable de l’économie. Et lorsque six chefs d’entreprise, dont le patron de Renault, ancien directeur de cabinet d’un Premier ministre socialiste qui se fait déjà remarquer en fermant Vilvorde, condamnent les réactions hostiles à cette annonce et font observer que « ce ne sont pas les actionnaires qui sont responsables de ces restructurations mais la concurrence », ils ne font que rappeler froidement la cruelle réalité du système économique dans lequel nous vivons.
Remarquons simplement que ce sont des actionnaires qui touchent les dividendes pendant que les travailleurs trinquent.
Lorsque le Premier ministre reconnaît que l’Etat ne peut pas faire grand chose, il avoue que la raison économique que nous n’avons cessé de dénoncer, lorsqu’on nous l’oppose pour justifier l’injuste, est trop souvent acceptée comme un postulat auquel ont la tentation de se résigner même ceux qui affirment vouloir combattre politiquement l’injustice sociale. Les orientations qu’il a proclamées à Strasbourg, pourvu qu’elles soient mises en œuvre, rappellent que si l’Etat démocratique a pour mission de protéger les libertés individuelles, il doit aussi défendre les droits sociaux et lutter contre les inégalités que génère le système libéral et qui mettent à mal le lien social.
La construction européenne n’a de sens que si elle renforce ce pouvoir des Etats et non si elle l’amoindrit. Elle doit élargir le champ des droits de l’homme, qu’ils soient civils et politiques ou économiques et sociaux, et non le restreindre. Elle doit permettre de mieux résister à la tyrannie de ces monstrueuses machines que sont les entreprises multinationales qui s’affrontent pour assurer leur suprématie sans se soucier des hommes.