La préparation et la tenue de la manifestation d’opposition au mariage pour tous a permis l’expression d’un certain nombre de propos dont la teneur permet de mieux cerner les motivations profondes et les implicites parfois soigneusement passés sous silence, voire niés, par des porte parole officiellement corrects. Sous les slogans rassembleurs et de « bon sens » du type « un papa, une maman… » l’œil attentif décrypte alors une vision du monde marquée par le naturalisme et l’exclusive. Au moment où ces lignes sont écrites, la bataille peut sembler d’arrière garde puisque le processus législatif aura commencé. Mais, outre que le début ne répond pas de son issue, il n’est pas inutile de revenir sur le fond argumentaire développé par les opposants au mariage pour tous tant il est chargé d’exclusives. Attention donc, une offensive peut en cacher une autre et derrière la stigmatisation du mariage gay, c’est par enchainement, une offensive contre la laïcité qui est en marche. Une offensive dont le première rouerie est de faire passer le mariage – acte civile par excellence – sous les fourches caudines du religieux.
Passons sur les mensonges du type remplacer dans le Code civil les mots « père » et « mère » par les appellations « parent 1 » et « parent 2″. L’affaire est de pure fabrication et n’a aucune base d’existence réelle mais permet d’agiter des peurs « anthropologiques ». La forme renvoyant toujours un peu au fond elle donne aussi la mesure de la (mauvais) foi engagée dans ce débat public. Et d’une haine qui, pour être dissimulée n’en est pas moins patente. Ainsi le détournement du slogan de « développement durable » en « Pour l’humanité durable », porte en filigrane l’idée que le mariage pour tous signe la disparition de l’humanité, rien de moins, pour cause d’extinction de natalité. On se retrouve assez loin d’un quelconque amour pour son prochain… D’autant que « l’humanité durable » en question est présentée par le manifeste de l’association de Frigide Barjot comme fondée sur la « civilisation judéo chrétienne », ce qui laisse peu de place aux athées, libres penseurs et adeptes de religions exotiques telles l’islam, le boudhisme, l’hindouisme… Une vision largement confortée par les entretiens radios trottoirs réalisés lors de la manifestation des « anti », dans lesquels on a pu entendre certains manifestants protester de leur « compassion » pour les homosexuels tandis que d’autres, moins ouverts à l’esprit de charité sans doute avouaient leur détestation dogmatiques à l’égard de pratiques perçues comme autant de défis portés à l’ordre naturel et divin.
Dans ce cadre, tout aura été dit et rien n’aura été négligé pour faire peur : déstructuration de la société, enfants fragilisés, voie ouverte à l’inceste. Dans une tribune de presse assez fascinante, Anne Boring, maître de conférences à Sciences Po et ancienne vice-présidente de GayLib, soulignait le parallélisme entre ces arguments et ceux utilisés en leur temps aux Etats-Unis par les opposants aux mariages mixtes, lesquels n’ont été légalisés qu’en 1967. Elle en donne de multiples exemples, dont on ne résiste pas au plaisir d’en citer quatre:
Le déclin de la civilisation : le premier exemple est tiré de Pace and Cox v. State (1882), où un couple formé d’un homme noir et d’une femme blanche était poursuivi et condamné dans l’Alabama à deux ans de prison pour cohabitation et relations sexuelles. La Cour suprême de l’Alabama a maintenu cette condamnation, le juge expliquant que la cohabitation d’un couple mixte mettrait en danger « les intérêts supérieurs du gouvernement et de la société ». En effet, selon lui, « le mélange des deux races » produirait notamment une « civilisation dégradée ».
L’inceste : En 1948, dans l’affaire Perez v. Sharp, la Cour suprême de Californie a, pour la première fois, jugé que l’interdiction des mariages mixtes était contraire au quatorzième amendement de la Constitution américaine. Trois juges se sont opposés à cette décision, dont John W. Shenk, qui crée un amalgame entre mariages mixtes, inceste et bigamie : le mariage mixte « est une question de conséquence et de résultat. Les facteurs qui sous-tendent la justification de lois contre le croisement de races sont étroitement liés à ceux qui sous-tendent la validité de l’interdiction de l’inceste et des mariages incestueux, ainsi que de la bigamie. »
La non exclusion du mariage : le Juge Shenk explique par ailleurs que le mariage mixte ne relève pas d’une question d’égalité de droits, puisque le « code civil ne crée pas de discrimination entre personnes de races blanches et noires. Chaque requérant a le droit et le privilège d’épouser une personne de son propre groupe ». L’argument a été repris en France par Christine Boutin expliquant que les homosexuels ne sont pas discriminés puisqu’ils « peuvent se marier naturellement : mais il faut qu’ils se marient avec une autre personne d’un autre sexe, pas avec le même sexe. »
L’intérêt supérieur de l’enfant : En 1959, la Cour Suprême de Louisiane décidait de maintenir l’interdiction des mariages mixtes, utilisant l’argument de l’intérêt supérieur de l’enfant : « L’Etat (…) a un intérêt à maintenir la pureté des races et à prévenir la propagation d’enfants métisses. De tels enfants ont des difficultés à être acceptés par la société, et il n’y a aucun doute quant au fait que les enfants dans cette situation subissent le fardeau, ainsi qu’il a été évoqué ailleurs, ‘d’un sentiment d’infériorité quant à leur statut dans la communauté pouvant affecter leurs cœurs et leurs esprits d’une manière qui ne pourra jamais être défaite’ »