Communiqué de l’Observatoire des libertés et du numérique, dont la LDH est membre
En matière de fichage génétique, le projet de loi de programmation de la justice est devenu un dangereux véhicule législatif, roulant à contre-sens vers un fichage généralisé. Sans aucune concertation ni débat préalable, un amendement au texte prétend tirer les conséquences de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en juin 2017, qui a jugé le fichage opéré par le fichier national des empreintes génétiques (Fnaeg) disproportionné et contraire au droit à la vie privée en raison de la durée excessive de conservation (de 25 à 40 ans) et de l’impossibilité d’effacement pour les personnes condamnées.
Ce fichier tentaculaire contient aujourd’hui plus de 3,8 millions de traces ADN, résultat des textes et injonctions politiques successifs ayant étendu les possibilités de ficher pour des infractions mineures (plus d’une centaines) des personnes à peine suspectes, sans contrôle préalable du procureur de la République, le refus de prélèvement ADN constituant, enfin, une infraction pénale. Cette alimentation systématique fait que 76 % de personnes fichées sont de simples « mis en causes » et qu’on y trouve encore des enfants et des adultes fichés pour des faits mineurs.
Le gouvernement ayant décidé d’engager la procédure accélérée, le Parlement est sur le point d’adopter des modifications désastreuses.
Les unes ne modifient pas la nature du fichier : la procédure d’effacement serait raccourcie et ouverte aux personnes fichées car condamnées, ce qui ne sera d’aucun effet tant que le critère de l’effacement demeure « si la conservation n’apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier ».
Les autres ouvrent la voie, non plus à une restriction mais bien à un fichage encore plus massif, et font céder, sans débat, une digue importante.
L’amendement proposant de ne plus restreindre l’extrait d’ADN prélevé aux seuls segments non codants est présenté comme une évidence scientifique et une nécessité pour s’adapter aux évolutions futures. Or cette exclusion était centrale lors de la création du fichier : ces segments « non codant » devaient permettre, sur la base des connaissances scientifiques de l’époque, d’identifier la personne concernée de manière unique sans révéler ses caractéristiques héréditaires ou acquises et c’est sur la base de ce dit garde-fou, scientifiquement contesté depuis, que ce fichier a pu prospérer sans véritable débat démocratique sur l’éthique du fichage génétique. Le balayer d’un revers de main, en prétendant qu’il suffirait désormais de préciser que les informations relatives aux caractéristiques de la personnes ne pourront apparaître dans le fichier vise à endormir la vigilance des citoyens. La Commission nationale informatique et libertés (Cnil) ne s’y est pas trompée, en dénonçant cette évolution lourde, intervenue sans son avis préalable.
Mais bientôt il suffira qu’un parent, cousin, oncle, tante ait déjà été fiché, même pour une infraction mineure, pour devenir un suspect potentiel. Les députés veulent en effet ouvrir la « recherche en parentèle » au-delà des parents directs. Pour ces recherches dans le Fnaeg, ce ne sont plus 3,8 millions de traces qui seront comparées mais bien davantage, au point que l’on est en droit de se demander qui, désormais, ne sera pas, d’une façon ou d’une autre, fiché.
L’Observatoire des libertés et du numérique exige le retrait de cet amendement et une véritable concertation qui permettrait une prise de conscience citoyenne pour éviter ce « dérapage incontrôlé » du fichage génétique en France.
Organisations membres de l’OLN : le Cecil, Creis-Terminal, Globenet, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), la Quadrature du net (LQDN), le Syndicat des avocats de France (SAF), le Syndicat de la magistrature (SM)
Paris, le 22 novembre 2018