En plein mois d’août, un décret, applicable en janvier 2014, a introduit de la nouveauté en matière de justice administrative. Ce ne fut pas une bonne nouvelle. Au bout du processus, ce seront les plus fragiles qui en feront les frais. Pour ceux-là, quelques centaines d’euros en moins constituent une catastrophe.De quoi s’agit-il ? Les tribunaux administratifs sont les juridictions chargées du contentieux social : les contestations des radiations de Pôle emploi, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, le droit au logement opposable, l’aide personnalisée au logement, le revenu de solidarité active, etc. Dans la situation qui prévaut actuellement, cette première instance de jugement est rendue en collégialité et est susceptible en cas de refus, d’un appel devant la cour administrative d’appel. Le décret du 13 août va priver le contentieux social du double degré de juridiction. En effet, les jugements rendus (par un juge unique et non plus en collégialité) par les tribunaux administratifs en matière sociale, ne pourront plus être l’objet d’un appel. L’arrêt rendu en première instance est donc définitif. En d’autres termes, ces contentieux pourront être dispensés de conclusions du rapporteur public et seront jugés en premier et dernier ressort avec une procédure spéciale faisant plus de place à l’oralité pendant l’audience et relativisant d’autant l’enquête.
La Ligue des droits de l’Homme conteste un décret qui ajoute une injustice à la précarité et crée une inégalité de droits selon les types de contentieux. Certains d’entre eux, considérés comme plus intéressants, bénéficieront du double degré de juridiction et les autres, vus comme subalternes, en seront privés, constituant ainsi une discrimination en raison de la situation sociale des personnes concernées, souvent les plus pauvres et les plus fragiles de notre société.
De son côté le Syndicat de la justice administrative (SJA), qui regroupe majoritairement les personnels de ces juridictions dit ne pas pouvoir « admettre que les catégories de population les plus fragilisées économiquement se voient ainsi privées au nom de considérations statistiques des garanties procédurales élémentaires (à savoir l’examen de l’affaire par une formation collégiale, le droit de faire appel d’un jugement et l’énoncé de conclusions du rapporteur public) qui resteront réservées à des contentieux plus « nobles », fiscal, urbanisme, marchés publics… » Le SJA a décidé de mettre en place dès le 1er janvier un observatoire sur les modalités d’application de cette réforme.
L’Uniopss, qui regroupe une centaine de fédérations et associations nationales de solidarité, ainsi que quelque 25 000 établissements locaux et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux au service des plus fragiles, « tient à faire part [à la garde des sceaux] de sa vive préoccupation. […] Et s’inquiète que les plus démunis soient directement touchés par ces mesures d’économies budgétaires qui viennent fortement réduire leurs droits, leur réservant une forme de « sous-justice ». Cela ne nous paraît pas conforme à l’esprit du plan pluriannuel interministériel de lutte contre la pauvreté », et l’Uniopps constate que ce décret n’améliorera pas « l’accès aux droits des plus démunis et prioritairement l’accès au droit commun ».
Il faut enfin se souvenir des conditions dans lesquelles ces jugements se déroulent. Les juridictions administratives sont communes à plusieurs départements et les plaignants, en particulier ceux dont les difficultés sont grandes se rendent peu en audience. On peut donc craindre que la primauté donnée à l’oralité se trompe de cible et n’aura pas pour effet de permettre aux personnes d’exposer concrètement leur litige. Dès lors le juge unique aura-t-il l’occasion d’un éclairage différent sur la requête exprimée ? Ce doute est renforcé par l’absence des conclusions du rapporteur public qui interdira aux requérants de réagir à ses conclusions sur le litige. La suppression de la procédure d’appel parachève logiquement pour ses promoteurs un édifice injuste.
La rationalisation des procédures administratives contentieuses ne saurait légitimer cette différence de traitement. La Ligue des droits de l’Homme demande le retrait de ces dispositions qui privent les personnes défavorisées du droit à un recours effectif constitutionnellement et conventionnellement reconnu.