La proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel est examinée en première lecture par l’Assemblée nationale les 27 et 29 novembre prochains. Le texte parlementaire fait suite au rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur « Le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel » fait par la députée Maud Olivier, et remis à l’Assemblée nationale le 17 septembre 2013.La présente proposition de loi comporte 21 articles. Elle est beaucoup moins ambitieuse que le rapport parlementaire qui contient 40 recommandations. Ainsi, elle ne reprend pas la recommandation relative au développement des recherches universitaires et aux études qualitatives et quantitatives qui permettraient d’évaluer l’évolution de la prostitution et de l’exploitation sexuelle en France. De même, elle est silencieuse sur la situation des mineur-e-s dans la prostitution.
Néanmoins, comme pour le rapport d’information parlementaire, le constat liminaire est identique : l’ensemble du texte législatif mélange volontairement la question de la traite des êtres humains, infraction définie par les dispositions du code pénal, et la prostitution. Sur ce point, il est utile de se reporter au 7e rapport périodique de la France qui sera enregistré au Comité des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes au mois de décembre 2013. Dans le rapport gouvernemental, il est rappelé que « l’activité prostitutionnelle est quant à elle libre. Seules ses manifestations ostensibles sur la voie publique peuvent être poursuivies ».
Mais que recouvre, dans ses grandes lignes, la proposition qui vient en discussion cette semaine ? Détour par les quatre chapitres principaux :
Moyens d’enquête et de poursuites des auteurs de la traite des êtres humains et du proxénétisme.
Ce chapitre est composé d’un article unique comportant deux paragraphes. Le premier paragraphe porte exclusivement sur un ajout d’articles du code pénal dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique. En effet, et c’est le sens du second paragraphe, que de renforcer la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains qui se font par Internet.
Si la démarche est plus que nécessaire, il apparaît surprenant que la volonté parlementaire de lutter contre des activités pénalement répréhensibles se limite aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ainsi, aucun article n’est consacré à l’Office central de répression de la traite des êtres humains (OCRTEH). Or, il est de notoriété publique que l’OCRTEH effectue un travail considérable pour des moyens humains et financiers dérisoires.
Protection et accompagnement des victimes de la traite des êtres humains, du proxénétisme et de la prostitution.
Il s’agit d’un long chapitre de treize articles dont l’essentiel est composé de renvois à différents codes. Au total, ce sont six Codes (Code de l’action sociale, Code pénal et Code de procédure pénale, Code du travail, Code de la sécurité sociale, Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – Ceseda) qui sont concernés. Dans ce chapitre, est proposée la création d’une nouvelle instance, au sein des conseils départementaux de prévention de la délinquance, chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution et de la traite des êtres humains. Dans ce dispositif, les instances se superposent aux instances, avec à un terme un risque d’alourdissement de la structure existante.
En outre, ce chapitre reprend l’idée, déjà contenu dans le rapport parlementaire, d’un parcours de sortie dont pourra bénéficier la personne, dès lors qu’elle est prise en charge par une association agréée à cette fin. Nous ne pouvons que nous inquiéter de la place faite à certaines associations qui seront agréées par arrêté du préfet du département, et qui deviendront le passage obligé pour les personnes victimes des infractions de traite et de prostitution qui sollicitent une aide. Cette configuration peut susciter une certaine méfiance des personnes victimes – qui de fait n’auront pas le choix d’une association – vis-à-vis de ces organisations qui auront un lien particulier avec les pouvoirs publics.
Dans le même temps, et après plus de dix ans de combat en ce sens, la proposition de loi abroge le délit de racolage.
En matière de droit des étrangers, il était urgent que l’accès au titre de séjour et à son renouvellement pour les victimes de la traite des êtres humains soit facilité. Il est à souhaiter que le texte parlementaire permette une meilleure effectivité du dispositif ainsi renforcé. Toutefois, la proposition consistant à abaisser le coût de la première demande de délivrance de la carte de séjour avec un droit de timbre minimal de 19 euros n’a pas été retenue.
De même, à aucun moment le droit d’asile n’est abordé. Il est important de rappeler que l’accès à la procédure d’asile est un véritable parcours du combattant pour une victime de la traite des êtres humains, d’autant que très souvent une première demande d’asile « fictive » a été déposée par les trafiquants pour la victime afin de régulariser son séjour en France pendant quelques mois et faciliter ainsi son exploitation forcée.
Action de prévention et d’information.
Le chapitre est composé d’un article unique et porte sur les mesures de sensibilisation et d’éducation indispensables au cours de l’enseignement secondaire, et particulièrement au lycée. Cette disposition recoupe totalement ce qu’affirme la LDH depuis de très longues années : éduquer à l’égalité et à la responsabilité.
Interdiction d’achat d’acte sexuel.
Là encore, le chapitre est composé d’un article unique. L’article 16 de la proposition de loi devient la disposition phare du rapport en ce qu’elle porte sur la pénalisation du client. Il est donc proposé de créer une contravention de 5e classe sanctionnant le recours à la prostitution. Il s’agit de la contravention la plus élevée dans l’échelle des infractions contraventionnelles pour laquelle son auteur présumé sera convoqué devant le tribunal de police. La recommandation adoptée préconise d’assortir cette peine d’une peine complémentaire « consistant en un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution ».
Cependant, comme ce fut le cas en 2003 par la loi sur la sécurité intérieure qui a érigé le racolage en délit, une telle mesure conduira surtout à renvoyer les femmes qui exercent sur la voie publique à la clandestinité. Les conséquences d’un tel dispositif seront donc une augmentation des risques sanitaires, en diminuant les actes de prévention.
Dans une résolution adoptée par son comité central le 14 novembre 2002, la LDH disait déjà :
« Nous ne sommes pas plus partisans de légaliser que d’interdire. La prostitution ne doit relever ni d’un droit spécifique ni du non-droit, mais des droits communs à tous, dans une perspective réellement égalitaire : délivrance d’un titre de séjour, droits sociaux, accès aux soins gratuits, droit au logement ; reconnaissance d’un statut de victimes pour les personnes liées à un réseau de prostitution, en même temps que possibilités concrètes de mises à l’abri, éventuellement gérées par des associations agréées ; aides à la réinsertion. Et cela sans conditions préalables de dénonciations des réseaux et des proxénètes, ni retour forcé dans leur pays d’origine, contrairement au protocole de Vienne (décembre 2000) qui met en place un véritable dispositif de chantage ou aux méthodes encore plus expéditives envisagées par le ministre de l’Intérieur.
Il y aurait, enfin, une hypocrisie certaine à ne pas se préoccuper de l’attitude de ceux qui considèrent que le corps d’une femme ou d’un homme est un objet de consommation. Si les législations répriment les proxénètes de métier, elles sont, à quelques exceptions près, muettes sur les responsabilités des clients. Sans doute, un souci d’efficacité amène à considérer les solutions répressives comme improductives : elles ne feraient que rejeter dans la clandestinité tous les acteurs, rendant encore plus sordide et dangereux l’acte de prostitution. Sans doute aussi, ne change-t-on pas une réalité aussi ancienne par le seul recours à l’interdit légal. Il n’en reste pas moins que l’on doit réfléchir aux formes que doit prendre la responsabilité des clients. A ce titre, il faut, dès aujourd’hui, informer et éduquer, combattre le silence, les préjugés archaïques et les complaisances sexistes qui encore aujourd’hui, autour des pays théoriquement les plus développés, creusent d’épouvantables zones d’exploitation, de souffrance et d’inégalité. »
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