Guyane : des barrages policiers entravent l’accès aux droits

Un recours devant le tribunal administratif de Cayenne déposé par Aides, la Cimade, le Collectif Haïti de France, le Comede, la Fasti, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme et Médecins du MondeDeux barrages policiers permanents sont établis sur la seule route permettant l’accès à Cayenne, l’un à l’est, l’autre à l’ouest. Les personnes qui vivent le long des fleuves frontaliers (Oyapoque et Maroni), sans-papiers ou françaises mais dépourvues de preuve de leur nationalité, sont ainsi privées de l’accès à la préfecture, à certains tribunaux, à plusieurs services hospitaliers et consultations spécialisées, à des formations professionnelles ou universitaires.

Les arrêtés préfectoraux qui, depuis sept ans, les établissent sont renouvelés tous les six mois. Ils expliquent ces dispositifs par : « le caractère exceptionnel et dérogatoire au strict droit commun de ces contrôles permanents à l’intérieur du territoire, doit être principalement ciblé sur la répression de l’orpaillage clandestin et l’immigration clandestine. »

La situation de la santé est « explosive » selon Amandine Marchand, Marie-Dominique Pauti (Médecins du Monde) et Pascal Revault (Comede), et les conséquences notamment sanitaires de ces barrages sont graves, d’autant plus qu’elles sont prises « au prétexte de la sécurité » et donc sont jugées par les autorités préfectorales comme incontestables.

Ce qui n’est bien sûr pas l’avis des huit associations – Aides, la Cimade, le Collectif Haïti de France, le Comede, la Fasti, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme et Médecins du Monde – qui ont déposé, le 24 octobre, devant le tribunal administratif de Cayenne, un recours en annulation contre le plus récent de ces arrêtés. Elles appuient leur requête sur la violation de plusieurs droits fondamentaux : liberté d’aller et venir, droit à un recours effectif lorsque la vie privée et familiale est en jeu, égalité devant la loi, droit à la santé et à l’éducation.

Ces contrôles d’exception sont contraires à la position de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a considéré que ni le contexte géographique, ni la pression migratoire de la Guyane ne pouvait suffire à justifier des infractions à la Convention européenne des droits de l’Homme.

Deux des considérations justifiant le dépôt du recours sont rappelées ici.

Sur l’absence de justification du caractère dérogatoire de l’arrêté

Concrètement, des contrôles de police se situent l’un à 110 km de Saint-Laurent-du-Maroni, ville frontière avec le Surinam, à l’ouest, au niveau du fleuve Iracoubo, l’autre, entre Cayenne et Saint-Georges-de-l’Oyapock, ville frontalière avec le Brésil. L’arrêté contesté proroge l’installation du second de ces postes pendant six mois. Ces contrôles d’identité suivis, lorsqu’il s’avère que la personne est étrangère, d’une vérification de sa situation administrative, ne sont donc pas contraires à cette disposition du Code de procédure pénale. Mais la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier leur impose des conditions. Elle modifie en effet l’article L.611-1, II du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en ajoutant notamment la partie II suivante : « Les contrôles des obligations de détention, de port et de présentation des pièces et documents mentionnés au premier alinéa du présent I [les pièces et documents sous couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France] ne peuvent être pratiqués que pour une durée n’excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peuvent pas constituer un contrôle systématique des personnes présentes et circulant dans ce lieu ». L’arrêté contesté qui prévoit un poste fixe et permanent est contraire à cette disposition légale. L’article 4 de l’arrêté reconnaît d’ailleurs que « le caractère exceptionnel et dérogatoire au droit commun de ces contrôles permanents à l’intérieur du territoire doit être principalement ciblé sur la répression d’orpaillage clandestin et l’immigration clandestine ».

Depuis plus de sept années, ce caractère « exceptionnel et dérogatoire » des contrôles permanents est prorogé tous les six mois sur le pont d’Iracoubo et sur la route nationale n° 2, à proximité de Régina. Or, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a considéré que ni le contexte géographique, ni la pression migratoire de la Guyane ne pouvait suffire à justifier des infractions à la Convention européenne des droits de l’Homme. Il s’agissait en l’occurrence d’une violation du droit à un recours effectif combiné avec le droit à la vie privée et familiale, garantis par les articles 13 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) : « 97. Quant à la situation géographique de la Guyane, et à la forte pression migratoire subie par ce département-région d’outre-mer, le Gouvernement soutient que ces éléments justifieraient le régime d’exception prévu par la législation ainsi que son fonctionnement. Au vu du cas d’espèce, la Cour ne saurait souscrire à cette analyse. Certes, elle est consciente de la nécessité pour les États de lutter contre l’immigration clandestine et de disposer des moyens nécessaires pour faire face à de tels phénomènes, tout en organisant les voies de recours internes de façon à tenir compte des contraintes et situations nationales. Toutefois, si les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur impose l’article 13 de la Convention, celle-ci ne saurait permettre […] de dénier au requérant la possibilité de disposer en pratique des garanties procédurales minimales adéquates visant à le protéger contre une décision d’éloignement arbitraire. » L’arrêté attaqué, s’il n’interdit pas directement un recours effectif garanti par l’article 13 de la CESDH, est néanmoins porteur d’une atteinte indirecte à plusieurs droits fondamentaux dont celui-ci puisqu’il compromet les possibilités de déplacement des personnes entre l’ouest de la Guyane et Cayenne, donc leur accès à ces droits.

Sur la violation du principe d’égalité devant la loi

L’arrêté querellé ne manquera pas d’être annulé pour violation du principe d’égalité devant la loi issu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Consacré par la jurisprudence comme un principe général du droit, s’imposant de ce fait à l’administration hors de toutes dispositions textuelles, le principe d’égalité se traduit par le droit des usagers à un traitement et à un accès égaux au service public. Tout ressortissant étranger a le droit de voir sa demande enregistrée et que celle-ci fasse l’objet d’un examen individuel.

Or, en l’espèce, le poste fixe de gendarmerie est de fait infranchissable pour les étrangers en situation irrégulière qui risqueraient une reconduite à la frontière immédiate, le recours contre une décision d’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière n’étant pas suspensif. L’arrêté contesté empêche donc les personnes dénuées de titres de séjour et résidant à l’ouest de Cayenne de se rendre à la préfecture afin de déposer leur demande d’asile ou de titre de séjour. Certes, l’arrêté de la préfecture de la Guyane n° 2477/1D/3B du 24 octobre 2006 autorise le dépôt d’une demande de carte de séjour par voie postale. Mais il exclut de son champ d’application certaines catégories de cartes de séjour, ainsi que les démarches qui suivent le dépôt de la demande et qui requièrent la présence physique des intéressés.

Par ailleurs, comme on l’a vu ci-dessus, de nombreux ressortissants français, notamment issus des populations établies le long des fleuves frontaliers, ne possèdent pas de document d’identité. Ils s’exposent, lors du contrôle, à une reconduite à la frontière, et ce en contradiction avec l’article 3 du protocole 4 à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, stipulant : « Nul ne peut être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l’État dont il est le ressortissant. »

Or, pour obtenir une première carte d’identité, il est nécessaire d’apporter la preuve de la possession de la nationalité française. L’acte d’état civil produit ne permet pas, bien souvent, en raison du caractère défaillant et non exhaustif de l’état civil guyanais, notamment dans le cas des individus nés en France dont l’un au moins des parents y est aussi né mais dont la naissance n’a pas été déclarée, d’établir la nationalité française du demandeur. La production d’un certificat de nationalité est toujours exigée. Les demandes de ce certificat peuvent être envoyées par courrier au tribunal d’instance de Cayenne mais son retrait doit s’effectuer personnellement ; ni un envoi postal, ni une procuration à une autre personne n’est possible.

Le barrage institué sur la route nationale n° 2, à proximité de Régina, empêche donc des étrangers de se rendre à la préfecture pour faire valoir leurs droits à un titre de séjour, et des ressortissants français dénués de pièces d’identité de se rendre au tribunal d’instance pour obtenir le certificat de nationalité qui leur permettrait de faire valoir leur citoyenneté française.

Aussi, en instaurant une barrière infranchissable par certaines catégories de la population guyanaise, dans l’impossibilité de se rendre à Cayenne, où se trouve la majorité des services publics, l’arrêté, dont la légalité est contestée, viole le principe d’égalité devant la loi.

Il est temps que cessent, en France d’outre-mer, les dispositifs dont le caractère est « exceptionnel et dérogatoire au strict droit commun » et au droit international.

Pour en savoir plus :

http://www.ldh-france.org/La-lettre-de-Mom-no-28-du-28.html

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