Sélection d’arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat- Arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 octobre 2013 (n° du pourvoi : 13-81945 et 13-81949).
Dans deux arrêts du 22 octobre 2013, la Cour de cassation, au visa de l’article 8 (« Toute personne a droit au respect de sa vie privée, de son domicile et de sa correspondance ») de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, a considéré qu’« il se déduit de ce texte que la technique dite de “géolocalisation” constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge ». Au cours d’enquêtes préliminaires ouvertes l’une pour association de malfaiteurs constituée en vue de la préparation d’actes de terrorisme, l’autre relative à un trafic de stupéfiants, des officiers de police judiciaire, autorisés par le procureur de la République, avaient en effet adressé à des opérateurs de téléphonie des demandes de localisation géographique en temps réel (dite de « géolocalisation ») des téléphones mobiles utilisés par des personnes soupçonnées. Les moyens du pourvoi soutenaient, notamment, que l’article 8, alinéa 2, de la Convention ne peut organiser une ingérence dans la vie privée des personnes qu’à la condition d’en placer la surveillance et l’exécution sous le contrôle de l’autorité judiciaire, ce que n’est pas le Parquet qui n’est pas indépendant et qui est une partie poursuivante.
Ces arrêts sont à replacer dans la lignée d’arrêts tant de la Cour européenne des droits de l’Homme que de la Cour de cassation, et qui sont susceptibles de remettre en cause des pans entiers du code de procédure pénale. En effet, dans un arrêt du 10 juillet 2008, Medvedyev et autres c. France, (requête n° 3394/03), la Cour européenne des droits de l’Homme avait déjà jugé que « le Procureur de la République n’est pas une “autorité judiciaire” au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ». Dans la même affaire, la Grande chambre, à qui le dossier avait été transmis à la suite du recours contre l’arrêt de 2008, a, le 29 mars 2010, retenu des motifs identiques. Puis, dans un arrêt du 23 novembre 2010, Moulin c. France, (requête n° 37104/06), la Cour confirmait que le procureur « membre du ministère public, ne remplissait pas, au regard de l’article 5 par. 3 de la Convention, les garanties d’indépendance exigées par la jurisprudence pour être qualifié, au sens de cette disposition, de “juge ou (…) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires” ». La Chambre criminelle de la Cour de cassation avait elle-même statué dans le même sens, dans un arrêt du 15 décembre 2010, en considérant que « c’est à tort que la chambre de l’instruction a retenu que le ministère public est une autorité judiciaire au sens de l’article 5 par. 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, alors qu’il ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requise par ce texte et qu’il est partie poursuivante ». La cause est donc entendue. Deux obstacles de droit empêchent la qualification de magistrats aux membres du ministère public : l’absence d’indépendance à l’égard de l’exécutif et la qualité de partie poursuivante. Sur le premier point, une réforme législative est intervenue qui ne répond que partiellement à la critique formulée par les hautes juridictions. La loi du 25 juillet 2013 a modifié l’article 30 du Code de procédure pénale qui, désormais, précise que le garde des Sceaux ne peut adresser aux membres du ministère public « aucune instruction dans des affaires individuelles ». Seules les instructions générales sont admises. Mais il ne s’agit là que d’une réforme limitée. La réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature reste à faire. Elle constitue la suite nécessaire afin de couper le lien entre l’exécutif et les membres du Parquet. La nomination, l’avancement et la discipline des membres du ministère public doivent relever exclusivement du Conseil supérieur de la magistrature. Par exemple, pour la nomination, suivant la fonction et le grade des membres du Parquet, le Conseil ferait des propositions de nomination ou émettrait des avis conformes. Un projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature qui allait (pour partie) dans cette direction n’a pas eu de suite. Resterait de toute façon l’autre critique : le fait que le Parquet est une partie poursuivante. Pour assurer la dissociation de la poursuite et des mesures d’enquête, il convient de confier à un magistrat du siège les compétences en matière d’autorisation et de contrôle des enquêtes qui, aujourd’hui, relèvent du procureur de la République. Le juge des libertés et de la détention pourrait se voir confier ces pouvoirs.
– Arrêt du Conseil d’Etat du 13 novembre 2013, Cimade – M.B. (requêtes n° 349735, 349736).
Le Conseil d’Etat considère que « lorsqu’une personne s’est vu reconnaître le statut de réfugié dans un Etat partie à la convention de Genève (du 26 juillet 1951, sur le fondement de persécutions subies dans un Etat dont elle a la nationalité, elle ne peut plus, aussi longtemps que le statut de réfugié lui est maintenu et effectivement garanti dans l’Etat qui lui a reconnu ce statut, revendiquer auprès d’un autre Etat, sans avoir été préalablement admise au séjour, le bénéfice des droits qu’elle tient de la convention de Genève à raison de ces persécutions ». Il n’est fait exception à cette règle que si l‘Etat qui lui a reconnu le statut de réfugié n’assure plus sa protection. Enfin, l’arrêt considère qu’ « eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l’Union européenne, lorsque le demandeur s’est vu en premier lieu reconnaître le statut de réfugié par un Etat membre de l’Union européenne, les craintes dont il fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent être présumées non fondées, sauf à ce que l’intéressé apporte par tout moyen la preuve contraire ». Il en va différemment lorsque l’Etat membre a pris des mesures dérogeant à ses obligations prévues par l’article 15 de la CEDH ou lorsque sont mises en œuvre contre cet Etat membre les procédures de prévention ou de sanction d’une violation des valeurs qui fondent l’Union européenne (article 7 du Traité sur l’Union européenne).
– Ordonnance du Conseil d’Etat du 19 novembre 2013, association Sauvons l’université et autres (requêtes n° 372834, 372881, 373164).
Par cette ordonnance, le juge des référés du Conseil d’Etat, saisi d’un référé-suspension, a prononcé la suspension de l’exécution de plusieurs dispositions du décret n° 2013-767 du 23 août 2013, relatif à la réforme du recrutement et de la formation des maîtres des établissements d’enseignement privés sous contrat. Les associations requérantes, dont la Ligue des droits de l’Homme, soutenaient qu’en interdisant désormais aux ressortissants d’un Etat autre que les Etats membres de l’Union européenne ou parties à l’accord sur l’espace économique européen d’accéder à toute fonction d’enseignement en qualité de maîtres contractuels ou de maîtres agréés dans les établissements d’enseignement privés de l’enseignement primaire, de l’enseignement technique et de l’enseignement secondaire général, ledit décret crée entre ces ressortissants et les autres une différence de traitement que l’autorité compétente ne peut justifier par aucun motif d’intérêt général en rapport avec l’objet de la mesure, et qui est manifestement disproportionnée. Le juge des référés considère qu’en l’état de l’instruction un tel moyen est « de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité » de plusieurs articles du décret. Le juge enjoint aussi, à titre provisoire, le ministre de l’Education nationale de rouvrir la période d’inscription aux concours en cause.