Lettre ouverte aux candidats aux élections européennes de 2019 de l’Anafé dont la LDH est membre
Madame, Monsieur,
Créée en 1989, l’Anafé est composée de 51 membres (associations, syndicats et membres individuels) et agit en faveur des droits des étrangers qui se trouvent ou se sont trouvés en difficulté aux frontières ou en zone d’attente. Son objectif est donc de faire respecter les droits des personnes en migration et de mettre en lumière les dysfonctionnements et violations des droits résultant des textes et des pratiques aux frontières.
Si le droit international proclame le droit de chacun de quitter tout pays, y compris le sien, et d’y revenir, il protège également toute personne en migration contre les mauvais traitements et violations de ses droits fondamentaux. L’impératif de protection des populations persécutées ou opprimées devrait prévaloir sur les logiques sécuritaires, de contrôle des flux migratoires et les discours de peur.
Or, plusieurs décennies de réformes européennes et françaises n’ont pas permis de mettre fin aux nombreuses violations des droits international et nationaux régulièrement constatées et dénoncées par les associations et les instances de protection des droits, bien au contraire.
En effet, dans un contexte de durcissement croissant des politiques migratoires, le contrôle des frontières l’emporte sur le respect des droits et de la dignité, l’accueil et la protection des personnes exilées ou en voyage, et en particulier des personnes les plus vulnérables.
L’argument d’une supposée « crise migratoire » a permis de justifier un contrôle accru des frontières via de nombreuses entraves sur les parcours des personnes : rétablissement des contrôles aux frontières internes de l’espace Schengen et notamment de la France, édification de murs et militarisation des frontières extérieures de l’espace Schengen, arsenal pour détecter les personnes migrantes, multiplication des fichiers, ouverture de hotspots, refus de délivrer des visas, maintien des visas de transit aéroportuaire, banalisation de l’enfermement, rôle des compagnies de transport dans le contrôle des frontières, prolifération des accords de réadmission ou de coopération passés par l’Union européenne avec des pays d’émigration dont la seule finalité est de stopper les mouvements migratoires aux portes de l’Europe…
Si les politiques migratoires répressives sont dirigées avant tout contre les personnes en migration, elles le sont aussi et de plus en plus vis-à-vis des acteurs de la solidarité internationale et des soutiens des personnes en situation d’exil, membres d’organisations ou pas. Les défenseurs des droits des personnes migrantes subissent de nombreuses pressions et intimidations de la part des autorités publiques, et certaines sont poursuivies – voire condamnées – pour leurs actions solidaires et fraternelles.
Lorsque les personnes parviennent à atteindre l’espace Schengen aux frontières françaises, l’accès au territoire peut être refusé parce que la police estime qu’elles ne remplissent pas les conditions d’entrée et/ou les suspecte d’être un « risque migratoire », ou parce qu’elles demandent l’asile, elles sont alors enfermées en zone d’attente (ZA) et menacées de renvoi à tout moment.
Alors même que les règles de droit devraient apporter de la sécurité juridique à toute personne confrontée aux dispositifs mis en place par l’Etat, la zone d’attente et les frontières intérieures de l’espace Schengen sont marquées par un déséquilibre important des forces. La loi laisse une place étroite aux droits, souvent réduits à peau de chagrin par la pratique administrative et policière, sans réel garde-fou.
Ainsi, en 2017, 16 879 personnes se sont vues refuser l’entrée sur le territoire et 9 672 ont été placées en zone d’attente. 1 270 personnes ont déposé une demande d’admission sur le territoire au titre de l’asile. 68 529 refus d’entrée aux frontières internes terrestres ont été recensés en 2017 par Eurostat. Pour les six premiers mois de 2018, 4 859 personnes ont été placées en zone d’attente.
Les procédures mises en œuvre à la frontière sont d’une extrême brièveté (la durée moyenne de maintien était en 2017 de 4,21 jours à Roissy, de 72 heures à Orly et moins de 24 heures dans les autres zones d’attente). Ainsi, la majeure partie des personnes maintenues en zone d’attente ne voit aucun juge, le juge des libertés et de la détention n’intervenant qu’au bout de 96 heures.
Le nombre de renvois immédiats est également très important : 7 207 personnes ont donc été réacheminées immédiatement (parmi lesquelles des potentiels demandeurs d’asile), c’est-à-dire sans placement au lieu d’hébergement de la zone d’attente. Enfin, le taux de réacheminement était de 72% en métropole (50% à Roissy et 64% à Orly) et de 96% en outre-mer. Les statistiques pour l’année 2018 établies par le ministère de l’intérieur ne sont pas encore connues.
Les violations des droits des personnes aux frontières sont un problème chronique et structurel. L’Anafé ne cesse, depuis des années, de démontrer qu’on ne peut pas priver de liberté et enfermer des personnes dans le respect de leur dignité et de leurs droits. Constat confirmé par les conclusions de toutes les enquêtes et observations de terrain : quelle que soit la forme qu’elle prend, la privation de liberté entraîne la violation des droits humains et s’inscrit dans une politique de criminalisation des personnes étrangères. A ce titre, nous vous rappelons que les parlementaires européens disposent d’un droit de visite dans les lieux de privation de liberté des étrangers sur le sol européen, droit que nous vous invitons à exercer.
Malgré d’importantes victoires de l’Anafé (base légale au maintien des étrangers en zone d’attente en 1992, accès des associations en zone d’attente en 1995, droit d’accès permanent de l’Anafé en zone d’attente de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle en 2004, recours suspensif pour les demandeurs d’asile en 2007), il n’a toujours pas été mis fin à l’enfermement systématique des mineurs à la frontière ni à leur renvoi forcé, il n’existe toujours aucun recours suspensif et effectif pour les étrangers non demandeurs d’asile et les textes ne prévoient aucun accès garanti et effectif aux juridictions judiciaires et administratives.
Forte de son expérience et parce que la réponse des pouvoirs publics face à des personnes en situation d’exil (qui sont par définition vulnérables) ne devrait pas être la privation de liberté, l’Anafé condamne le principe de l’enfermement administratif des étrangers aux frontières.
L’Union européenne doit entendre les revendications de la société civile et cesser de privilégier le contrôle des frontières au détriment des droits des personnes en migration et en situation d’exil. Elle doit surtout mettre en œuvre les principes prescrits par les conventions internationales et mettre enfin en place une véritable politique migratoire d’accueil et de protection.
Sans rupture nette avec les logiques aujourd’hui à l’œuvre au profit d’un impératif sécuritaire à géométrie variable, la crise morale et politique qui en découle ne fera que s’enliser, entraînant avec elle l’État de droit et la société démocratique européenne.
A 11 jours du scrutin pour l’élection des parlementaires européens, je vous adresse, par la présente, des recommandations de l’Anafé et vous demande quels sont vos positionnements et engagements à leur sujet :
- La suppression des entraves mises en amont de l’accès au territoire européen ;
- La fin du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen et des violations des droits à ces frontières ;
- La suppression du « délit de solidarité » ;
- L’arrêt de l’enfermement administratif des mineurs, qu’ils soient isolés ou accompagnés ;
- La garantie de l’accès au juge pour toutes les personnes maintenues.
Nous souhaiterions également connaître vos propositions de modification des différents textes en vigueur et les mécanismes de contrôle que vous entendez appliquer, afin de permettre le respect et l’effectivité des droits et de la dignité des personnes en migration.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, nos salutations distinguées.
Alexandre Moreau, président de l’Anafé
La suppression des entraves en amont de l’accès au territoire européen
Parmi les mesures mises en œuvre visant à empêcher des étrangers de quitter leurs pays et/ou d’accéder au territoire européen par des voies dites « régulières » et obligeant des migrants à emprunter des routes toujours plus dangereuses, se trouvent notamment :
- les officiers de liaison européens, détachés dans les pays de départ ou au sein du territoire européen, contribuent à la logique de renforcement des contrôles migratoires et participent aussi de la banalisation de la notion de « risque migratoire », notion clef du contrôle des frontières, sans réel cadre légal, qui conduit nécessairement à des décisions discriminatoires, voire arbitraires ;
- la multiplication des fichiers sans véritable contrôle sur le croisement des données et le traitement de celles-ci ;
- les politiques strictes des visas ;
- les visas de transit aéroportuaire, attentatoires au droit d’asile ;
- les compagnies de transport, devenues de fait des agents externalisés des contrôles frontaliers en raison de la pression exercée par le dispositif des sanctions aux transporteurs.
L’Anafé demande la suppression à tout le moins :
- des visas de transit aéroportuaires ;
- du dispositif des officiers de liaison ;
- des amendes aux transporteurs.
La fin du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen et des violations des droits à ces frontières
Depuis plusieurs années, les stigmates d’un contrôle militarisé des frontières et attentatoires aux droits se retrouvent également à l’intérieur de l’espace Schengen.
La pratique de la fermeture des frontières internes au gré de craintes sécuritaires a connu de multiples résurgences, et la situation instaurée dans certaines parties de l’Europe depuis 2014, et renforcée dès 2015 notamment en France, met en péril l’un des fondements majeurs de l’acquis européen : la liberté de circulation au sein de l’espace Schengen. D’autant que le rétablissement des contrôles aux frontières internes est surtout utilisé à des fins de contrôle migratoire, comme le montre notamment la situation à la frontière franco-italienne.
Sur le terrain, il a été constaté et dénoncé la multiplication des contrôles frontaliers discriminatoires, les refoulements de mineurs isolés et de potentiels demandeurs d’asile, la violation manifeste des règles du code frontières Schengen mais aussi du droit d’asile, des atteintes à plusieurs libertés fondamentales, des conditions de vie alarmantes et l’herméticité de la frontière de façon parfois violente.
Enfin, dans sa recommandation n° 2017-820 du 12 mai 2017, la Commission européenne encourageait « les États membres à faire un meilleur usage de leurs compétences de police et à donner la priorité aux contrôles de police avant de décider de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures » (§13). En outre, les Etats devaient « veiller à ce que la mise en œuvre de ces mesures ne crée pas d’obstacle à la libre circulation des personnes et des marchandises qui ne serait pas nécessaire, justifié et proportionné au regard de telles menaces, et à ce que ces mesures respectent intégralement les droits fondamentaux, et notamment le principe de non-discrimination » (§14).
Dans sa recommandation n° 2017/1804 du 3 octobre 2017, la Commission réitère son interprétation du CFS déjà rappelée dans sa communication du 4 mars 2016 « Revenir à l’esprit de Schengen – feuille de route ». Elle y précisait en effet que « la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures est une mesure exceptionnelle, de caractère temporaire ». Or, les prolongations systématiques décidées par plusieurs pays dont la France sont contraires à cet esprit.
L’Anafé recommande :
- que les demandeurs d’asile se présentant aux frontières intérieures puissent faire enregistrer leur demande d’asile ;
- que les mineurs isolés se présentant aux frontières intérieures soient pris en charge par les services compétents de l’enfance ;
- que toute personne en migration soit traitée avec dignité et dans le respect de ses droits ;
- la fin du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures.
La suppression du « délit de solidarité »
La France a ratifié le 29 octobre 2002 le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée. Ainsi, la personne qui apporte son aide à un ressortissant étranger pénétrant sur le territoire d’un État ou y séjournant de façon irrégulière, sans toutefois en avoir retiré un avantage financier ou matériel, ne peut être poursuivie pour trafic illicite de migrant et ce, quels que soient les motifs de son action.
Néanmoins, la définition retenue par ce Protocole est plus encadrée et protectrice que celle adoptée par plusieurs législations nationales (comme en France).
Le 6 juillet 2018, le Conseil constitutionnel français a donné au principe de fraternité une valeur constitutionnelle, et a appelé, par sa décision, le législateur à modifier, pour la mettre en conformité, la législation. Les modifications apportées par la nouvelle loi ne mettent pourtant pas fin au délit de solidarité. En effet, la loi nationale prévoit désormais que les actes d’aide au séjour ou à la circulation irréguliers accomplis « dans un but exclusivement humanitaire » ne pourront pas être poursuivis. Cela exclut les actes de solidarité accomplis aux frontières, terrestres, aériennes ou maritimes, qui restent passibles de poursuite. De plus, cette nouvelle disposition entraîne un jeu d’interprétation des procureurs et des juges des motivations de l’auteur de l’infraction. Cette disposition est très en-deçà de l’interprétation du principe de fraternité du Conseil constitutionnel. Or, il est indispensable que les défenseurs des droits humains ne soient plus inquiétés par des poursuites pénales pour leur action de protection des personnes exilées.
L’Anafé demande que la suppression du « délit de solidarité » soit inscrite dans la législation européenne et qu’il soit mis fin à toutes formes de pressions et de poursuites à l’égard des acteurs de la solidarité et défenseurs des droits humains.
La fin de l’enfermement des mineurs
Pour les instances nationales et internationales ainsi que pour les associations, les mineurs, en raison précisément de l’état de minorité, sont des personnes vulnérables en soi. L’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) prévoit que dans toutes les décisions concernant un enfant, son intérêt supérieur doit être une considération primordiale. Dès lors, l’administration devrait démontrer que l’intérêt supérieur de l’enfant justifie l’enfermement et qu’il n’y a pas d’alternative envisageable pour le protéger (CEDH, 5 avril 2011, Rahimi c/ Grèce).
L’Anafé se place résolument contre l’enfermement des mineurs qu’ils soient isolés ou non, qu’ils soient demandeurs d’asile ou non :
- tout mineur étranger se présentant seul aux frontières françaises doit être admis sur le territoire sans conditions ;
- les enfants ne doivent jamais faire l’objet ni d’un refus d’entrée sur le territoire ni d’un placement en zone d’attente ;
- du seul fait de son isolement, une situation de danger doit être présumée dès lors qu’un mineur isolé se présente à la frontière et les mesures légales de protection doivent être mises en œuvre ;
- tout étranger se déclarant mineur doit être présumé comme tel jusqu’à preuve du contraire et sa minorité ne devrait pouvoir être remise en cause que par une décision de justice ;
- le retour des mineurs ne peut être envisagé, une fois qu’ils ont été admis sur le territoire, que dans les cas où la décision a été prise par un juge dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
Cette position est fondée sur les prescriptions du droit international en la matière ainsi que sur l’analyse du droit français, qu’il s’agisse des dispositions spécifiques aux mineurs comme des règles applicables aux étrangers.
Nombre d’instances internationales et nationales se sont alarmées de l’enfermement des mineurs en zone d’attente et en centre de rétention, qu’ils soient isolés ou accompagnés de leur famille. En effet, le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, le Comité contre la torture de l’ONU, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et le Défenseur des droits ont tous pris des recommandations pour l’interdiction des mesures privatives de liberté prises à l’encontre des mineurs isolés étrangers. Le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a rappelé le 31 janvier 2017 qu’« il n’existe aucune circonstance dans laquelle la détention d’un enfant du fait de son statut de migrant, qu’il soit isolé ou accompagné de sa famille, pourrait être décidée dans son intérêt supérieur. La suppression totale de la détention des migrants mineurs devrait être une priorité pour tous les Etats ».
L’Anafé demande que l’interdiction de priver de liberté un mineur étranger soit inscrite dans la législation européenne, qu’ils soient isolés ou accompagnés, demandeurs d’asile ou non.
L’accès au juge garanti à toutes les personnes maintenues
Suite à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2007 (1), un recours suspensif de plein droit a été instauré pour les seuls demandeurs d’asile à la frontière. Cependant, rien n’est prévu pour les autres étrangers maintenus en zone d’attente, qu’ils soient non admis, en transit interrompu, mineurs isolés, etc.
Malgré les recommandations des instances internationales et nationales sur l’importance de garantir un droit à un recours suspensif et effectif pour toute personne maintenue en zone d’attente et qui souhaiterait contester la décision de refus d’entrée et de placement en zone d’attente, la loi du 7 mars 2016 n’a rien mis en place pour garantir le droit au recours effectif, pourtant protégé par l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Selon la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, pour être effectif, le recours doit être suspensif. En l’état actuel, les recours de droit commun continuent de ne pas être suspensifs de la mesure de renvoi et sont donc dépourvus d’effet utile en zone d’attente. La procédure d’urgence en référé n’est pas non plus satisfaisante puisque le dépôt d’une requête n’a pas d’effet suspensif, si bien que la personne maintenue peut être réacheminée avant tout dépôt de recours ou avant l’audience.
Concernant le « recours asile » devant le juge administratif, bien que suspensif, son effectivité n’est pas garantie :
- il est enfermé dans un délai de 48 heures, non prorogeable les jours fériés et le week-end,
- il doit être rédigé en français et motivé en faits et en droit,
- il doit être suffisamment étayé pour ne pas être rejeté par ordonnance comme étant « mal fondé » alors qu’en zone d’attente, les demandeurs d’asile maîtrisent rarement le français et ne sont pas en mesure de déposer seuls un recours argumenté en droit.
L’effectivité du recours est ainsi compromise tant qu’il n’existera pas de garantie d’une assistance juridique effective grâce à la mise en place d’une permanence d’avocats, tant que les étrangers n’auront pas automatiquement accès aux services d’un interprète pris en charge par les pouvoirs publics pour les besoins de contentieux initiés par eux.
Il est dès lors urgent d’une part de mettre la procédure d’asile à la frontière en conformité avec le droit international des droits de l’homme et de tirer les conséquences d’un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui a considéré que les difficultés entourant la procédure prioritaire d’asile en France et l’absence d’effet suspensif du recours contre une mesure d’éloignement portaient atteinte au droit à un recours effectif (CEDH IM c/ France, 02.02.12) et d’autre part de mettre en place un recours effectif et suspensif pour tous.
Au surplus, le contrôle du juge des libertés et de la détention, juge judiciaire gardien des libertés individuelles, intervient tardivement en zone d’attente : au terme du quatrième jour de maintien à compter de la décision initiale de placement et une seconde fois au 12e jour de la privation de liberté. Cela signifie que, durant les premières 96 heures, les étrangers sont privés de liberté sans qu’aucune autorité extérieure à l’administration n’examine leur situation. Au vu de la durée maximum de maintien (20 jours maximum) et de la durée moyenne de maintien, l’intervention du juge des libertés et de la détention au bout de 4 jours semble démesurée : la grande majorité des personnes en zone d’attente ne sont jamais présentées devant le juge judiciaire. Faute d’être saisi, il est possible qu’aucun juge ne contrôle le respect des libertés individuelles des étrangers et la régularité de la procédure.
Enfin, la mise en place de salles d’audiences délocalisées (comme c’est le cas en zone d’attente de Roissy) participe sans nul doute d’une justice dégradée pour les personnes étrangères qui comparaissent au sein même du lieu d’enfermement où siège le juge des libertés et de la détention chargé d’autoriser leur maintien en zone d’attente.
Les audiences délocalisées portent atteintes au droit à un procès équitable, elles compromettent notamment les droits de la défense, la publicité des débats ainsi que le droit à une juridiction indépendante et impartiale.
L’Anafé demande que des mesures soient prises afin de garantir – dans les textes et en pratique – à toute personne privée de liberté sur le territoire de l’Union, et particulièrement dans les zones frontières :
- un contrôle juridictionnel effectif, impartial et indépendant des décisions administratives et des conditions de la privation de liberté ;
- le respect du droit à procès équitable et des droits de la défense ;
- le respect de la publicité des débats dans un lieu de justice indépendante et impartiale.
(1) Cour EDH, 26 avril 2007, Gebremedhin contre France, req n° 25389/05
Paris, le 15 mai 2019