Publiée sur Mediapart
Une association de sauvegarde de l’enfance de Seine-Saint-Denis, reconnue par tous les acteurs institutionnels, organise un colloque sur les mécanismes de radicalisation. Les représentants de l’Etat doivent assister et prendre la parole à la séance d’ouverture. Ils se désistent sans raison apparente. La réalité: ils ne voulaient pas apparaître dans un colloque où devait intervenir Saïd Bouamama. Quand l’Etat cautionne l’extrême-droite…
Une association de sauvegarde de l’enfance de Seine-Saint-Denis, reconnue par tous les acteurs institutionnels, organise un colloque international sur les mécanismes de radicalisation. Les représentants de l’Etat, le Procureur de la République doivent assister et prendre la parole à la séance d’ouverture. Ils se désistent sans raison apparente.
La réalité est qu’ils ne voulaient pas apparaître dans un colloque où devait intervenir Saïd Bouamama. Mais qu’est-ce que ce sociologue, membre de l’association organisatrice du colloque a-t-il fait pour provoquer un tel comportement ? A-t-il tué ou volé ? Est-il impliqué dans des affaires de mœurs ou de corruption ? Ses propos, ses écrits tombent-ils sous le coup de la loi ? Aurait-il glorifié le terrorisme, le racisme, insulté telle ou telle communauté ? A lire la prose de la meute qui le poursuit, rien de tout cela. Il a fondé avec d’autres le parti des Indigènes et il incarne une pensée dans laquelle certains puisent leurs références. Aussitôt l’Etat est-il sommé de ne pas s’assoir aux côtés de ce dangereux « communautariste » (musulman, forcément musulman…) et le pire, c’est le mot qui convient, c’est que ses représentants obtempèrent !
Je ne m’attarderais pas sur le ridicule qui voit les représentants de l’Etat pratiquer la politique de la chaise vide lors d’un colloque d’une association largement financée par les pouvoirs publics locaux, départementaux et nationaux et appréciée pour son efficacité dans la sauvegarde de l’enfance.
En revanche que l’Etat cautionne ainsi les aboiements d’une meute où l’extrême-droite le dispute à la crétinerie montre à quel point les représentants du pouvoir ont intégré le discours d’exclusion de toute pensée différente.
Ce n’est pas la première fois que cette attrition de la pensée est à l’œuvre. A Lyon un colloque universitaire sur l’Islamisme est annulé, à Paris un débat sur la loi polonaise imposant une vérité sur l’histoire de ce pays durant la deuxième guerre mondiale est perturbé. Là, c’est une œuvre artistique qui est détruite ou une représentation censurée.
Ce qui est ici en cause, c’est la décision de la puissance publique de déférer aux injonctions d’un groupe de pression et d’entériner une doxa qui fait de la République un espace de pensée et d’expression limité.
On est en droit de ne pas partager les idées et les engagements politiques de Saïd Bouamama, et c’est mon cas, mais nul n’est légitime à lui interdire de s’exprimer ou à en faire un pestiféré civil. Et l’Etat moins que quiconque.
Parions, malheureusement, que nous n’avons pas fini d’avoir à dire notre refus de tels interdits.
Michel TUBIANA
Président d’honneur de la LDH
Paris le 5 juillet 2019.