Résolution adoptée par le 90e congrès de la LDH, Saint-Denis – 8, 9 et 10 juin 2019
La LDH défend une société mixte dans laquelle les femmes et les hommes sont libres et égaux en dignité et en droits indivisibles et universels.
Le contexte mondial de montée des extrêmes droites, d’accès au pouvoir de leaders ouvertement sexistes, de montée des intégrismes et de recul des droits fondamentaux touche en particulier les femmes dont les droits, reconnus de manière inégale à travers le monde, sont encore fragiles.
Confrontées à des situations de guerre, de crise démocratique et d’aggravation des inégalités, les luttes de femmes sont traversées par des débats politiques généraux. Il en résulte donc des risques graves de minimisation, de subordination, voire d’instrumentalisation de ces luttes spécifiques.
Les luttes des femmes pour leurs droits se heurtent à de nombreux obstacles renforcés par l’aggravation des inégalités, la crise démocratique, les situations de guerre.
Elles sont traversées par des débats qui très souvent instrumentalisent la question des femmes au profit de combats politiques qui leur sont extérieurs.
Les luttes des femmes pour leur émancipation
Depuis des siècles, les femmes luttent pour leur émancipation. La conquête de leurs droits, au sein de civilisations régies par un patriarcat systémique faisant d’elles les sujets du père, du frère ou de l’époux, a rencontré et rencontre encore de fortes résistances.
Ces droits, elles les ont conquis un à un. Dans certaines sociétés, ce sont d’abord les droits à l’éducation, à la propriété, à l’accès à des métiers réservés, à la gestion de leur salaire qui ont été acquis, et ensuite des droits politiques, le droit à disposer de leur corps et à maîtriser leur fécondité. Dans de trop nombreux pays, certains de ces droits n’existent pas encore, avec parfois des situations de subordination instituées par la loi.
L’émancipation ne pourra se réaliser pour les femmes qu’avec l’arrêt des violences physiques et psychiques qu’elles subissent et qui empêchent le plus souvent leur expression pour revendiquer et atteindre l’égalité.
En France comme dans de nombreux pays, une série de réformes juridiques et législatives a bouleversé le déséquilibre historique entre hommes et femmes. Un véritable tournant s’est opéré depuis la fin de la seconde moitié du XXe siècle notamment à travers le droit à la contraception et à l’IVG.
Les droits des femmes ont aujourd’hui une assise légale et une légitimité profonde au sein de la société française. Mais si, dans les discours officiels, il est rare que les individus, groupes ou partis politiques s’opposent explicitement à l’égalité entre les femmes et les hommes, il n’en reste pas moins que comme partout dans le monde, des forces conservatrices continuent de s’opposer avec force aux droits des femmes.
Une revendication universelle d’égalité
La Ligue des droits de l’Homme considère l’égalité entre les femmes et les hommes comme un enjeu universel, à articuler avec les autres luttes pour l’égalité.
Le patriarcat est un mode de relation universel. Il structure les rapports entre les femmes et les hommes sur le mode « dominant/dominé». Ce système d’oppression majeure s’ajoute pour les femmes aux autres systèmes de domination.
Au-delà d’une revendication universelle d’égalité, les luttes des mouvements féministes s’expriment dans une diversité des modes de pensée et de culture. Cette diversité n’empêche pas d’affirmer avec clarté que les options religieuses et éthiques particulières ne peuvent justifier des interdictions ou des obligations frappant toute la société.
La liberté de conscience est une liberté fondamentale inséparable de la conquête des droits des femmes. Celles-ci doivent pouvoir décider quel rapport elles ont à leur corps, à leur sexualité, à leur habillement, sans avoir à se conformer contre leur gré à des normes sociales, culturelles ou religieuses. L’émancipation passe par des chemins multiples. C’est un combat de chaque instant qui s’appuie sur l’éducation, la culture, l’indépendance économique et l’engagement dans la citoyenneté.
Un travail sur les structures sociales et les préjugés, sur le droit et sur les mœurs est nécessaire, afin de mettre en lumière et combattre les mécanismes inégalitaires qui s’appuient sur l’infériorisation du féminin par rapport au masculin, c’est-à-dire sur le genre. L’école et l’ensemble des structures éducatives et sociales ont un rôle essentiel à jouer. Il faut promouvoir et rendre effectives la Cedaw1 et la convention d’Istanbul2.
La notion de genre, à laquelle les institutions françaises, européennes et internationales se réfèrent officiellement depuis la conférence de Pékin de 1995, est un outil pour combattre ces discriminations. Il pose avec justesse les catégories femmes, hommes, de sexe, de sexualité, et les notions de féminin, de masculin, de féminité et de masculinité comme des constructions sociales et non comme des données intangibles. L’usage de cette notion ne doit pas invisibiliser le sujet « femme » par celui de l’orientation sexuelle qui reste distinct, même si les formes d’oppressions et de discriminations associées aux diverses identités sexuelles ont pour point commun de s’arrimer à un modèle normatif patriarcal.
Du discours en faveur de l’égalité, en particulier le discours institutionnel, aux pratiques et à leur généralisation, la distance est encore importante. Nos sociétés, française comprise, restent porteuses dans les rapports sociaux, le langage et les pratiques quotidiennes, de l’héritage millénaire d’une vision patriarcale et genrée des rôles masculins et féminins qui justifie largement que le combat féministe continue et se diversifie.
L’égalité entre les femmes et les hommes doit être effective dans toutes les fonctions électives et responsabilités au sein des institutions politiques, des associations, des syndicats, des conseils d’administration… Les pressions sociales et la loi sur la parité ouvrent la voie mais des inégalités persistent et des combats doivent encore être menés.
Combattre le sexisme et les violences envers les femmes
Le mouvement « #MeToo » a montré que le harcèlement sexuel des femmes et les violences sexuelles à leur égard est un phénomène mondial qui n’épargne aucun milieu.
La lutte contre le sexisme doit se retrouver dans toutes les politiques sectorielles, singulièrement dans le monde du travail. Cela implique la mise en place d’une politique volontariste et le développement de campagnes de sensibilisation et de responsabilisation dans l’ensemble des domaines où se joue l’image des femmes.
Le sexisme doit être combattu sous toutes ses formes, depuis celles qui apparaissent comme les plus anodines (remarques et plaisanteries déplacées, représentations stéréotypées…) jusqu’aux plus graves qui se traduisent par des violences répétées et des féminicides.
En France, tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son (ex)compagnon ou (ex)mari, et environ 140 000 enfants vivent dans un foyer où leur mère est victime de violences. Les enquêtes menées de 2012 à 2018 par l’Observatoire national des violences faites aux femmes comptabilisent 219 000 femmes victimes, chaque année, de violences physiques par leurs conjoints. Du fait notamment de l’emprise que peuvent avoir ces derniers sur elles, du manque d’autonomie financière, ou de la présence des enfants, seules 19 % ont porté plainte.
Le nombre de plaintes et de condamnations ne rend pas compte de l’ampleur du problème. La loi d’août 2018 pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes ne répond pas aux situations les plus graves, pèche par une orientation principalement répressive et ne s’accompagne pas de moyens financiers significatifs pour agir, notamment pour les associations.
Il est urgent de former davantage de professionnels (policiers, gendarmes, magistrats, avocats…) à l’écoute et au recueil des plaintes des victimes.
Le nombre et la capacité des centres d’hébergement, actuellement insuffisants, doivent être largement augmentés et les ordonnances de protection, aujourd’hui trop rares, plus souvent mises en place.
L’accompagnement des victimes du sexisme doit être renforcé par une augmentation pérenne et sans mise en concurrence du financement des associations dédiées à cette tâche.
La dépendance juridique dans laquelle elles se trouvent, doublée bien souvent d’une dépendance économique, place les femmes étrangères victimes de violences dans une configuration de subordination au sein des espaces domestique et public. Il convient donc que les pouvoirs publics leur permettent d’obtenir l’asile et des titres de séjour pérennes et les accompagnent dans la durée pour qu’elles puissent être protégées et en mesure de reconstruire leur vie. Il faut aussi agir contre les formes modernes de l’esclavagisme, souvent accompagnées de confiscation des papiers, et contre le trafic marchand des femmes.
La prostitution ne doit relever ni d’un droit spécifique ni du non-droit, mais des droits communs à tous, dans une perspective réellement égalitaire : délivrance d’un titre de séjour, droits sociaux, accès aux soins gratuits, droit au logement, reconnaissance d’un statut de victimes pour les personnes liées à un réseau de prostitution en même temps que possibilités concrètes de mises à l’abri, aides à la réinsertion…
Défendre le droit à disposer de son corps
Dans certains pays européens, le recours à l’IVG n’est possible qu’avec d’importantes limitations (risque pour la vie des femmes en Irlande, uniquement à la suite d’un viol en Pologne…), voire carrément interdit, comme à Malte.
Conquis de haute lutte, l’accès à la contraception et à l’IVG est relativement garanti en France. Mais ces acquis sont fragiles et parfois remis en cause. D’une part, des médecins faisant valoir leur clause de conscience refusent abusivement d’orienter les femmes vers un autre médecin acceptant de pratiquer les IVG, comme la loi les y oblige. D’autre part, des coupes budgétaires raréfient les centres d’IVG et de planning familial rendant ainsi leur accès inégalitaire socialement et géographiquement.
Les politiques publiques d’austérité tendent à fragiliser le secteur associatif en partie en charge de l’effectivité de ce droit fondamental. Cette situation préoccupante est aggravée par des politiques locales et les choix arbitrés par certaines personnes élues, essentiellement de droite ou d’extrême droite. Il revient donc aux pouvoirs publics de dégager des moyens suffisants et pérennes pour assurer l’effectivité du droit à l’IVG sur l’ensemble du territoire.
La réduction des moyens des services publics, particulièrement des hôpitaux et des maternités crée de véritables déserts obstétricaux, mettant ainsi en danger la vie des femmes et de l’enfant à naître.
La LDH demande :
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l’ouverture et l’accès à l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes quelles que soient leur situation familiale ou leur orientation sexuelle ;
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un débat public sur la gestation pour autrui (GPA).
Assurer l’égalité professionnelle
Si, depuis la loi sur l’égalité professionnelle de 1983, les dispositifs légaux et juridiques ont été régulièrement complétés, les femmes sont toujours victimes de discriminations à l’embauche, d’inégalités de salaires et de contrats de travail précaires. La maternité demeure aussi l’une des causes et prétextes des inégalités persistantes. Celles-ci se poursuivent lors de la retraite. 59 % des entreprises de plus de cinquante salariés ne respectent pas la loi et n’ont ni accord, ni plan d’action sur l’égalité professionnelle. Seules 0,2 % d’entre elles ont été sanctionnées. L’égalité professionnelle passe aussi par une prise en compte de la place des hommes dans le couple en favorisant l’émergence de droits nouveaux comme le congé paternité, d’une durée égale à celui de la femme.
La mise en place de quotas au sein des conseils d’administration des entreprises publiques ou privées, des jurys de concours, des commissions administratives paritaires, des organes consultatifs… a permis de lutter avec une certaine efficacité contre le « plafond de verre ». Mais les résultats restent largement insuffisants au regard des exigences en matière de parité comme étape vers l’égalité.
La volonté de promouvoir des femmes aux plus hautes responsabilités hiérarchiques ne doit pas masquer les obstacles rencontrés par la masse d’entre elles, surtout celles en situation précaire, particulièrement nombreuses dans certains secteurs (grande distribution, entretien, services à la personne…), où l’activité syndicale et l’action collective sont entravées. Dans ces secteurs, les femmes sont confrontées à des conditions de travail de plus en plus dégradées (temps partiels imposés, horaires de travail fractionnés, formes d’exploitation qui s’exercent aussi dans les emplois à domicile, ou dans les soins aux plus vulnérables…). Ces politiques doivent donc concerner toutes les femmes et pas seulement les plus diplômées ou celles qui ont les capacités sociales ou symboliques de se faire entendre.
Lutter contre la précarité
Des constats inquiétants perdurent : les femmes constituent aujourd’hui 70 % des travailleurs pauvres et occupent 82 % des emplois à temps partiel. Les appels au 115, marqueurs de l’évolution de la pauvreté, montrent qu’en dix ans le nombre de femmes ayant appelé le 115, au moins une fois, a augmenté de 66 %. De plus l’accès aux soins leur demeure souvent difficile du fait des grandes inégalités territoriales des permanences d’accès aux soins de santé (Pass).
Une attention toute particulière doit être portée aux mères isolées. Celles-ci sont souvent confrontées à de grandes difficultés économiques et sociales.
Des mesures spécifiques doivent être prises en faveur de ces mères : accompagnement social et professionnel renforcé pour un retour à l’emploi, moyens adaptés pour faciliter l’accueil des enfants, recouvrement effectif des pensions alimentaires fixées par le juge, développement de l’aide à la parentalité, amélioration de l’information et de l’accès aux droits. Il convient de développer un service public de la petite enfance pour que chaque parent puisse mener de front, et de façon satisfaisante et sereine, son rôle parental et son activité professionnelle.
En conclusion
Tout entière mobilisée pour la défense des droits et des libertés, la LDH réaffirme son engagement féministe. Elle l’inscrit comme un axe essentiel d’une société mixte organisée autour de l’égalité.
Adopté le 10 juin 2019
Pour : 268 ; contre : 8 ; abstentions : 32
Cedaw : Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée par l’ONU le 18 décembre 1979.