« L’Union des femmes de la Martinique (UFM) tiendra sa première assemblée générale le dimanche 11 juin 1944, à 9h30, à la Solidarité, rue Garnier Pagès. Jeunes filles et femmes de la Martinique, venez en grand nombre. » C’est ainsi qu’était annoncée dans le journal Justice du 3 juin 1944, la réunion constitutive de l’Union des femmes de la Martinique.1944 – La Libération. Les peuples aspirent à l’émergence d’un monde nouveau. Les années de guerre ont permis aux femmes d’exercer des responsabilités nouvelles, et elles veulent, elles aussi, obtenir de nouveaux droits. Tout un champ de nouvelles conquêtes dans la lutte pour les droits des femmes s’ouvre ainsi avec l’ordonnance d’avril 1944. Celle-ci institue le droit de vote pour les femmes dans les territoires français.
En Martinique, les femmes militantes ne restent pas à l’écart de cet élan. A la tête du groupe de femmes, de sensibilité communiste, lançant cet appel, une femme, Jane Léro, âgée de 26 ans. Elle est la principale animatrice de ce groupe de femmes en gestation.
Cette volonté part également d’un constat de misère physique et morale des femmes martiniquaises du peuple. Beaucoup d’entre elles sont analphabètes et se retrouvent enfermées très jeunes dans un cycle de maternités successives. Aucune structure sociale ne les aide dans les soins à donner aux enfants, et le taux de mortalité est très élevé.
Et c’est dans un modeste salon de Fort de France que vont se rencontrer cinq femmes : Jeanne Lero, Yvette Mauvois, Rosette Eugène, Désirée Maurice Huygues-Beaufond et Eudora Montredon-Clovis, et que tout va commencer.
Leur premier objectif est de faire utiliser par les femmes le droit de vote qu’elles viennent d’acquérir. Le deuxième est de les organiser pour leur donner les moyens d’élever leurs enfants sans malnutrition ni analphabétisme.
L’UFM a, depuis sa création en 1944, été pleinement actrice de l’histoire sociale de la Martinique par ses analyses, ses prises de position et ses actions. Elle a œuvré à rendre visible la situation des femmes et leurs problèmes spécifiques, à faire avancer leurs droits et améliorer leur vécu au quotidien. Elle a aussi participé à de nombreuses luttes sociales pour une vie meilleure de toute la population. L’UFM a ainsi pris toute sa part à tous ces combats qui construisent notre humanité, collant à la réalité des femmes et des hommes vivant en Martinique, tout en étant active dans la solidarité internationale. Elle a été partie intégrante de la vie sociale de la Martinique.
C’est ainsi que, de 1944 à 1973, le droit à la santé et à l’éducation de l’enfant, le développement de la personnalité martiniquaise, la participation aux luttes sociales, seront des préoccupations permanentes et feront l’objet d’actions importantes : consultations de nourrissons, pétitions pour l’application de la prime de rentrée en Martinique, mise en place de crèches, marches contre la faim, prises de position contre l’ordonnance d’octobre 1960, pour l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste de la Martinique (Ojam), dans des grèves…
D’abord affiliée à l’Union des femmes françaises, l’association deviendra autonome au début des années 1960. Entre 1974 et 1997, s’y ajouteront des revendications sur les transports (nombreuses pétitions et interventions) et les droits fondamentaux des femmes : la contraception et l’avortement (campagnes d’explication), mais aussi la dignité de la femme (livret de famille à la mère célibataire, versement pensions alimentaires, autorité parentale de la mère…).
Depuis 1997, la lutte contre les violences faites aux femmes est le thème phare de ses revendications. Ses actions ont permis de briser le mur du silence qui entourait ce fléau. Elle a ainsi largement contribué à sortir la violence conjugale de la sphère privée, et dénoncer tous les autres lieux de violences envers les femmes (au travail, dans l’espace public). Elle a été la pionnière pour impulser des actions d’ampleur et durables de prise en charge des femmes victimes :
– la création d’un espace d’écoute, d’information et d’accompagnement pour femmes en détresse et victimes de violences. Celui-ci a vu sa fréquentation augmenter chaque année, avec une activité de 4 300 appels téléphoniques et venues sur place, en 2013 ;
– la création du premier Centre d’hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) pour femmes victimes de violences.
Mais l’accompagnement n’apporte rien s’il ne s’accompagne pas de prévention, afin que les mentalités évoluent :
– ainsi, a été initiée depuis 2000, une campagne annuelle de quinze jours autour du 25 novembre pour l’élimination des violences envers les femmes ;
– une dénonciation permanente de ces violences et une action forte à chacune des lettres femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, ou blessées grièvement, en organisation des manifestations condamnant ces actes barbares ;
– la dénonciation du harcèlement sexuel et moral au travail et la formation d’actrices et d’acteurs. On connaît le contexte économique difficile, le chômage important, les emplois précaires et les bas salaires que vivent les femmes, qui favorisent les pressions ;
– le développement d’un axe fort de prévention dans les établissements scolaires ;
– un accent particulier est mis sur le sexisme au quotidien : celui qui s’affiche régulièrement sur nos écrans, dans nos radios, s’invite dans nos conversations, nos blagues, nos chansons… les proverbes qui traversent le temps et se répètent de générations en générations… qui alimentent nos imaginaires, dans la rue, au travail, en politique… Tout cela qui véhicule une image dégradée de la femme, réduite et morcelée en tant qu’objet sexuel, et nourrit auprès de la population, et des jeunes en particulier, l’idée que les femmes sont une marchandise comme une autre, à consommer et à jeter après usage.
La pleine citoyenneté des femmes notamment par leurs responsabilités politiques, ont aussi été des actions de l’UFM pour permettre de faire évoluer la situation : une seule femme maire depuis six ans, à laquelle est venue s’ajouter une nouvelle, le 23 mars, sur trente-quatre communes, des adjointes peu nombreuses dans les premiers postes, pas de députée ni de sénatrice, cinq femmes sur quarante et une au conseil général.
Il s’agissait aussi de sensibiliser le monde politique à la prise en compte de leurs besoins et attentes dans les politiques locales, de la nécessité d’une approche de genre dans l’analyse, l’élaboration et la mise en œuvre des projets.
Les femmes dans l’Histoire et la solidarité internationale ont été présentes tout au long de ces années, que ce soit pour se mobiliser contre l’apartheid, aider les populations en détresse ou dénoncer l’impérialisme américain (Afrique du Sud, Haïti, Guadeloupe, Cuba…)
Aujourd’hui, il s’agit de faire en sorte que ces idées de droit à l’égalité et au respect pour les femmes soient partagées par le plus grand nombre, que chacune et chacun se sentent concernés et impliqués dans le changement de mentalité, de façon individuelle, mais aussi collective, en intervenant dans son association, son travail, et en tant qu’elu(e) dans sa collectivité.
Ainsi, de quelques militantes déterminées à l’implantation d’un mouvement résolument féministe, l’UFM a tenu et continue de tenir sa place dans les combats toujours actuels pour l’égalité, la parité, la dignité de cette « autre moitié du ciel » que sont les femmes.
Pour en savoir plus :
www.unionfemmesmartinique.com