Mayotte, récent département français, vient d’être reconnu comme une Région ultra périphérique (Rup) de l’Union européenne. Quels en sont les faits et les effets ?La « rupéisation » de Mayotte(1) a été acceptée par des Etats européens dont aucun n’a jamais reconnu Mayotte comme française auparavant. Il est bon de le rappeler à l’heure où M. Fabius a réactualisé cette question par son singulier « trou de mémoire » dans les propos qu’il a tenus sur la situation de la Crimée : « un rattachement direct à la Russie voudrait dire changer de système et que l’intégrité territoriale ne serait plus respectée », avant d’ajouter « si vous admettez le principe qu’une région, dans n’importe quel pays, en contradiction avec les règles constitutionnelles de ce pays, peut se rattacher à un autre pays, cela veut dire qu’il n’y a plus de paix internationale ni de frontières assurées ». Et tout le monde de lui rafraichir la mémoire, y compris les Russes, en comparant la situation de Mayotte à celle de la Crimée : le ministre des Affaires étrangères de Russie, M. Lavrov, assure que « la Russie ne compte pas envahir le sud-est de l’Ukraine, mais la Crimée, dit-il, est d’une grande importance pour Moscou, plus que les Malouines pour le Royaume-Uni, ou que Mayotte pour la France, un exemple qui peut s’apparenter, d’après Lavrov, à une annexion », selon les propos rapportés par France culture dans le journal de 8 heures, le samedi 15 mars.
Certes, il est bon de rappeler l’histoire de Mayotte et comment la France a été condamnée par l’ONU quand elle a organisé un référendum île par île dans les Comores en contradiction avec le droit international, mais l’Europe a elle aussi capitulé sans tambour ni trompette en acceptant de faire de Mayotte une Rup .
Mais attention : une Rup de bas étage ! Car, à Mayotte, le droit est différent. La dotation européenne prévue par habitant est nettement en dessous de ce qui se pratique dans les autres Dom. Selon Antoine Math (entretien personnel) : « Ces dotations ne seront que de 200 millions d’euros au lieu des 500 millions qui auraient dû être prévus si les critères appliquées aux autres régions de l’UE avaient été appliqués, ce qui correspond, encore, à une discrimination vis-à-vis des habitants de Mayotte. Cette décision – formellement prise par la Commission et avalisée dans le cadre du budget européen (par le Conseil) – n’a pas pu être prise sans l’aval de la France. On peut aisément imaginer que la France a obtenu la « Rupéisation » de Mayotte (et donc l’acception des autres Etats membres de Mayotte comme partie de l’UE et de la France) en marchandant en échange une aide au rabais pour Mayotte. »
Cependant, un certain nombre de directives pourraient modifier l’effectivité du droit à Mayotte si elles étaient appliquées. Par exemple, selon les analyses de juristes du Gisti : « Si on applique la directive 2008/115/CE, tous les sans-papiers doivent bénéficier d’un délai de départ volontaire avant la reconduite, puisque la notion n’est pas définie objectivement par l’ordonnance. Plus aucun APRF (Arrêté préfectoral de reconduite à la frontière) ne devrait être possible à Mayotte ! » Alors qu’en 2013, 15 908 personnes en ont été expulsées…
Selon la réponse apportée à la députée européenne Hélène Flautre, les directives européennes devraient être appliquées à Mayotte notamment pour l’asile(2) : il s’agit en particulier de deux directives concernant l’accueil des demandeurs d’asile et la directive dite « retour » sur laquelle la France avait demandé des dérogations et que l’Europe a refusées. Voici la réponse donnée par Mme Malmström au nom de la Commission européenne : « La Commission, ayant analysé la demande des autorités françaises en faveur d’une dérogation à l’article 13, paragraphe 2, de la directive sur les retours et à l’article 13, paragraphe 5, de la directive sur les normes d’accueil, considère qu’il n’y a pas lieu d’accorder de mesures transitoires ou de dérogations à l’acquis de l’UE en la matière. Cette analyse préliminaire ne remplace pas le contrôle a posteriori qui sera effectué, selon les procédures prévues à l’article 258 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), de la transposition et de l’application à Mayotte de l’acquis de l’UE dans le domaine de l’immigration et de l’asile. Aucune proposition n’est nécessaire pour assurer la conformité avec l’acquis de l’UE. La France, dans le cadre de la mise en œuvre de cet acquis sur le territoire de Mayotte, est tenue de respecter les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. »
Le plus grave pour cette zone de l’Océan Indien concerne la pression exercée par la France sur les Comores pour leur faire endosser la lutte contre « l’émigration clandestine », en totale violation de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) sur le droit fondamental des individus à quitter leur pays. Un accord de gestion des flux migratoires est en cours de signature entre la France et les Comores. La première réunion du haut conseil paritaire entre la France et les Comores s’est tenu à Paris les 28 et 29 novembre 2013, avec la signature d’une déclaration relative à la circulation des personnes et d’une convention d’entraide judiciaire en matière pénale(3).
A noter que le passeport comorien biométrique est exigé maintenant des personnes qui demandent leur régularisation à Mayotte, et rien n’est prévu pour aller le chercher que l’aller et retour « kwassa » les mettant expressément en danger et rendant très difficile voire impossible cette régularisation.
Mayotte continue à être « hors du droit » en ce qui concerne les étrangers, mais pas seulement : la situation des quelques milliers d’enfants isolés suite aux expulsions de leurs parents, le refus d’ouvrir le Cra de Mayotte à une association reconnue pour l’accompagnement juridique, seule exception pour les Centre de rétention français, la multiplication de LRA à la demande par arrêté préfectoral (29 en 2013) pour faciliter les expulsions, en sont la preuve, le refus proclamé d’étendre l’Aide médicale d’Etat (AME) à Mayotte, la violation des droits fondamentaux avec la bénédiction du Conseil d’Etat quand on expulse un mineur sans ses parents en le rattachant à n’importe quel adulte(4). Mayotte reste l’emblème de la politique sécuritaire confondant migrants et délinquants. Le projet d’ordonnance pour le Ceseda à Mayotte, que le Gisti s’est procuré, montre que les pratiques dérogatoires vont continuer(5). La politique néocoloniale et le mépris des droits des populations restent la norme. Mayotte serait-elle le laboratoire du recul des droits pour tous ?
(1) www.migrantsoutremer.org/Mayotte-devient-le-1er-janvier
(2) www.migrantsoutremer.org/Les-directives-europeennes-sur-l
(3) www.migrantsoutremer.org/Premiere-reunion-du-haut-conseil