Résolution adoptée par le 86ème congrès de la LDH, Reims – 11, 12 et 13 juin 2011
Un climat délétère empoisonne l’air de la République.
Ce n’est plus seulement la xénophobie qu’entretiennent lois, propos et débats dévoyés sur une « identité nationale » figée et mise sous contrôle gouvernemental. Ce sont, depuis l’été 2010, les origines réelles ou supposées de telle catégorie de citoyens, Roms, Gens du voyage, Français par naturalisation ou jeunes nés de parents étrangers, qui sont assignés à résidence communautaire, montrés du doigt jusqu’au plus haut niveau de l’Etat.
Et c’est désormais l’islam qui est présenté, mois après mois, comme une menace tantôt pour l’héritage de l’Europe chrétienne, tantôt pour les valeurs de la France républicaine et laïque. Une partie de la majorité parlementaire en est venue à désigner les musulmans comme inassimilables et dangereux pour la République : on commence, comme l’avait fait une ministre, par enjoindre aux « jeunes musulmans » de remettre leur casquette à l’endroit (sic), et on finit, comme les responsables du parti majoritaire à l’Assemblée nationale, par s’inquiéter d’une fantasmatique multiplication de minarets au pays du baptême de Clovis…
La contagion s’étend hélas encore plus loin lorsqu’un maire de grande ville d’opposition appelle publiquement à expulser des Roms ou lorsque, troquant la soupe au cochon pour l’apéro saucisson, d’étranges pseudo-laïques manifestent avec le Front national contre une « occupation » musulmane de la France et disent voir en Marine Le Pen la seule responsable politique prenant au sérieux la laïcité.
Ainsi s’étend la lepénisation des esprits, diffusée et stimulée par le sarkozysme gouvernant. A la politique de la peur, qui a débouché sur le 21 avril 2002, risque de s’ajouter une véritable politique de la haine, diffusant une mortifère ethnicisation du politique.
La mobilisation citoyenne du 4 septembre 2010 contre la xénophobie et la politique du pilori a montré que nombre de nos concitoyens n’acceptaient pas cette République défigurée. Pour redonner la priorité à la liberté, à l’égalité et à la fraternité, il est urgent de prendre la mesure de la dénaturation des valeurs que nous défendons depuis toujours.
Lorsque la République laïque mais coloniale refusa l’application de la laïcité hors de la métropole, elle a exclu l’islam de l’égalité entre les cultes affirmée en 1905, et les musulmans de la citoyenneté. Le maintien partiel du « deux poids, deux mesures », du double standard, continue à menacer la cohésion sociale et la confiance dans l’effectivité de l’égalité républicaine. La garantie d’une vie familiale, professionnelle et citoyenne normale, à laquelle ont droit les musulmans réels ou supposés tels, comme tout citoyen résidant sur le territoire de la République, suppose que nos principes s’appliquent enfin sans discrimination. Mais cette garantie d’égalité se heurte à une véritable défiguration de la laïcité, qui contamine la droite et, plus insupportable encore, une partie de la gauche.
Car la laïcité, ce n’est pas l’injonction faite à des « barbares » de se dépouiller de leurs identités « inassimilables » pour devenir des citoyens semblables aux autres ; ce n’est pas la nouvelle version d’une « mission civilisatrice » des dominés par les dominants. La laïcité, aujourd’hui comme hier, c’est l’indispensable garantie, sans discrimination entre les cultes, du respect de la liberté et de la dignité égales des citoyens, quelles que soient leurs origines, convictions, croyances ou incroyances.
Les pseudo-laïques et autres nationaux-républicains en sont déjà, emportés par leur refus haineux du monde actuel, à fraterniser ouvertement avec l’extrême droite dans un déguisement antireligieux du racisme que l’on retrouve ailleurs en Europe. Emprunter ce chemin, pour de méprisables raisons électoralistes ou, pis encore, au nom de valeurs communes de stigmatisation, c’est légitimer la discrimination raciste, ouvrir la porte à la violence et à la réaction en chaîne des replis identitaires et communautaires.
Seule l’application à tous de la laïcité non défigurée, refusant l’idéologie de la hiérarchie des civilisations et de l’inégalité des cultures, peut faire de la République une démocratie fidèle à ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Il y a là une alternative lourde de conséquences pour le vivre ensemble démocratique, et un enjeu majeur en termes de choix de société à venir, pour tous les citoyens et particulièrement pour ceux qui solliciteront leurs suffrages.
Le 86e congrès de la Ligue des droits de l’Homme appelle à refuser la politique de la haine, de la peur et de la xénophobie, et à faire vivre l’égalité des citoyens quelles que soient leurs convictions, leurs croyances ou leurs origines, pour que la République laïque, démocratique et sociale retrouve demain son vrai visage.
Adoptée à la majorité, moins 16 « contre » et 4 abstentions.