Communiqué commun ACAF, ACAT, CAJ, CELS, FAL, FIDH, LADH et LDH
Après plus de sept ans de procédure et l’épuisement de tous les recours possibles, Mario Sandoval a enfin été extradé par la France vers l’Argentine hier, pour y être jugé pour l’enlèvement et la disparition de l’étudiant Hernan Abriata pendant la dictature. Les ONG signataires se félicitent de cette décision pour la famille Abriata qui réclame justice depuis plus de 40 ans.
Mario Sandoval, 66 ans, est arrivé à Buenos Aires hier lundi 16 décembre. Conformément au décret d’extradition, Mario Sandoval ne pourra être poursuivi que pour les faits commis au préjudice d’Hernán Abriata, même si le juge fédéral en charge de l’enquête en Argentine le soupçonne d’avoir participé à plusieurs centaines de faits de violations des droits humains. Des agents consulaires français pourront lui rendre visite sur son lieu de détention.
Mario Sandoval doit être jugé dans le cadre des procédures sur l’Ecole de mécanique de la marine (ESMA). On estime que 5 000 personnes disparues sont passées durant la dictature dans ce centre de détention clandestin de Buenos Aires. Pour rappel : en 1983, la Commission nationale sur la disparition des personnes (CONADEP) a été créée pour recueillir les plaintes des familles de victimes de disparitions pendant la dictature. Des procédures d’instruction furent initiées, auxquelles deux lois d’amnistie, prises sous la pression des militaires, mirent fin en 1986 et 1987. Ces lois furent annulées en 2003. Cela a permis la reprise des poursuites pénales antérieures et notamment l’ouverture des nouveaux procès concernant les crimes commis à l’ESMA. Compte tenu de son volume, le dossier ESMA fut scindé en plusieurs parties. Quatre procès ont déjà eu lieu, aboutissant à des condamnations dans la majorité de cas.
Vendredi 13 décembre, le juge de permanence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), considérant que l’extradition ne présentait pas de risque pour son intégrité physique, avait rejeté la demande de suspension formulée après l’arrêt du Conseil d’État. En séance publique le 11 décembre, la plus haute juridiction administrative française avait en effet jugé qu’il n’y avait pas lieu d’annuler le décret d’extradition émis par le gouvernement français le 21 août 2018 : Mario Sandoval n’a obtenu la nationalité française que bien après le crime dont il est accusé, ce crime n’est ni prescrit ni politique, et les exigences d’un procès équitable sont satisfaites.
Le 23 mai 2019, le Conseil constitutionnel avait confirmé que les faits criminels n’étaient pas prescrits. Le 31 août 2018, le Premier ministre français Édouard Philippe et la ministre de la Justice Nicole Belloubet avaient signé le décret d’extradition. Cette signature faisait suite à l’arrêt du 24 mai 2018 de la Cour de Cassation, qui avait alors confirmé que le crime de disparition était « continu » et que la prescription ne commençait à courir qu’après la découverte du corps de la victime. En mai 2014 déjà, la Cour d’appel de Paris avait rendu une première décision favorable à l’extradition vers l’Argentine, ce qu’avait confirmé la Cour d’appel de Versailles en octobre 2017.
Membre de la police fédérale argentine durant la dictature, Mario Sandoval aurait été affecté au Département des affaires politiques entre 1976 et 1979. Il se serait spécialisé dans la lutte contre « la subversion » au sein d’une unité appelée « Groupe de travail » 3.3.2 à l’ESMA. À ce titre, il pourrait avoir participé à 602 faits de violations des droits humains. Cependant, le dossier Abriata est le seul pour lequel la justice argentine dispose d’une dizaine de dépositions l’impliquant directement.
Mario Sandoval est arrivé en France en 1985, après la chute de la junte militaire. Il a obtenu la nationalité française en 1997.
Hernan Abriata, militant de la Jeunesse universitaire péroniste avait été arrêté par le 30 octobre 1976 et est disparu depuis. La famille Abriata, en particulier la mère d’Hernán, Beatriz, âgée de 93 ans, et son épouse, Mónica Dittmar, témoins impuissants de son enlèvement, continuent d’attendre le procès. « Ce ne sont pas des événements du passé pour la famille, la douleur est toujours présente » rappelait la famille dans une déclaration d’octobre 2019. 43 ans après les faits et à l’issue de nombreux recours judiciaires, l’attente de la vérité et de la justice est vécue comme interminable, mais aujourd’hui la famille est reconnaissante envers la justice française.
Paris, le 17 décembre 2019