L’agression juridique de HongKong, un défi au droit international. Renouveau de la contestation intérieure
Tout porte à le croire : le vote unanime à Beijing de la loi de Sécurité d’État pour Hongkong vient de créer un abcès de fixation qui marquera la scène internationale, aussi durablement peut-être que le conflit palestinien ou la partition de la péninsule coréenne. Les cent-soixante-deux membres du Comité permanent de l’Assemblée nationale ont le 30 juin imposé à l’ancienne colonie britannique un texte punitif et lourd de menaces, entré en vigueur dès le lendemain. La population de Hongkong, elle, n’a été ni informée ni consultée sur cette reprise en main qui affecte le fonctionnement des institutions locales, viole l’accord sino-britannique de 1984 ainsi que la Loi fondamentale de 1990 et qui porte atteinte aux libertés auxquelles, en plus d’un siècle et demi, s’étaient accoutumés les habitants du territoire.
La Chine avait promis à Hongkong jusqu’à 2047 un demi-siècle de stabilité et de maintien de son statut libéral. Elle n’a pas attendu la moitié de la période pour abandonner sa promesse ; vingt-trois ans plus tard, elle impose au territoire des liens juridiques étroits avec le système continental. Elle présente sa loi comme une garantie de paix et de stabilité, que les Hongkongais devraient accepter puisqu’il s’agit seulement de lutter contre la sécession, la subversion, le terrorisme et la collusion avec l’étranger.
Dans un État de droit, de tels chefs d’accusation ne susciteraient pas l’angoisse. Il n’en va pas de même en Chine dont sa justice obéissante qualifie à sa guise les agissements des opposants qui lui déplaisent. En pratique, toute action en faveur de l’autonomie du territoire, toute manifestation d’hostilité au pouvoir central sont susceptibles d’entrer dans le champ de la loi. Beijing se réserve de juger sur le territoire chinois les manifestations qui l’inquiéteront. L’article 62 de la loi prévoit que celle-ci prévaudra sur les dispositions légales en vigueur à Hongkong, lorsque les textes de part et d’autre ne seront pas compatibles.
Or le droit pénal de la R.P.C. ne recule en matière politique ni devant les condamnations à mort, ni devant la prison à vie ; il s’exerce dans un cadre pénitentiaire que ne gênent ni la torture, ni les aveux télévisés avant jugement, ni les pressions sur les familles, ni l’absence de soins pour les détenus malades, ni la récusation forcée des avocats choisis par les détenus et leur remplacement par des avocats inexpérimentés ou complaisants. Le projet de loi d’extradition vers la Chine présenté l’année dernière avait déclenché un semestre de manifestations, mobilisé près de deux millions de protestataires ; le pouvoir local avait dû faire marche arrière.
Un an après, voici que les dispositions honnies réapparaissent, implicitement incluses dans le projet de loi sur la Sécurité d’État. Le déroulement de ce faux processus législatif heurte le bon sens. Selon une source proche du pouvoir, la cheffe du gouvernement local Carie Lam ignorait le 30 juin la dernière version du texte ; elle s’est refusée à tout commentaire, sauf à affirmer sa totale coopération avec les autorités chinoises dans l’application de la loi. Son prédécesseur à la tête de l’exécutif Leung Chun-ying a annoncé que des primes d’un montant pouvant atteindre 129.000 dollars des États-Unis seraient versées à ceux qui faciliteraient l’arrestation des « contrevenants à la loi de sécurité d’État » et aux dénonciateurs de ceux qui auraient choisi de fuir le territoire. Selon Carie Lam (16 juin), tout opposant à la loi est « un ennemi du peuple ». Toute personne ayant porté atteinte à la Sécurité de l’État sera définitivement inéligible. Rideau de fer, rideau de bambou, on se croirait revenu aux temps détestables de l’Europe orientale en fin des années quarante du dernier siècle.
À Hongkong, les réactions n’ont pas tardé. Dès le premier jour d’entrée en vigueur du texte, le premier juillet, et malgré l’interdiction de rassemblement sous prétexte de coronavirus, des manifestants ont ouvertement défié les autorités. La police a arrêté 370 personnes, – dont dix officiellement au titre d’une loi sur la Sécurité que les intéressés n’avaient encore pu lire et sur lesquels on a procédé à des prélèvements d’A.D.N.. À Beijing, un responsable des affaires de Hongkong et de Macao a confirmé, terrible menace voilée de peine capitale, que les enfreintes à la loi seraient jugés par les tribunaux chinois, donc selon la loi chinoise.
Les effets d’intimidation ont été immédiats ; ils ont dépassé ce qu’on pouvait craindre. Tous ceux à qui la liberté de naguère permettait de détenir des documents devenus dangereux se hâtent de les dissimuler. Le musée de la mémoire de Tiananmen cache ses collections ; les libraires ne savent que faire des livres hostiles au pouvoir pékinois. Les propriétaires de nombreux sites internet au contenu compromettant les ferment de peur de donner prise aux poursuites. Les bibliothèques publiques elles-mêmes se plient et retirent des rayons les livres écrits par les personnalités hostiles au pouvoir chinoIs. Les personnalités indépendantes refusent de s’exprimer nommément en public, à cause des dangers qu’ils croient encourir depuis début juillet.
Les partis de l’opposition radicale, qui avaient cherché appui auprès des capitales étrangères, se considèrent comme les premières cibles de la loi. Ils ont décidé de cesser leurs activités d’organisation sur le territoire ; leurs dirigeants ont démissionné le 30 juin, certains sont partis, promettant de continuer leur combat dans des organisations à créer à Taïwan, aux États-Unis ou en Australie. Dans ces conditions, la proposition britannique d’accueillir pour cinq ans trois millions de résidents retient évidemment l’attention, tout comme l’ouverture à Taïwan d’un bureau d’aide aux fugitifs.
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