Argumentaire de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE)
Depuis le début de la crise sanitaire, le gouvernement a choisi de maintenir à tout prix le fonctionnement des centres de rétention (Cra). Ceci malgré les demandes de fermeture d’autorités administratives indépendantes (CGLPL, Défenseur des droits) ainsi que des organisations de défense des droits des personnes étrangères, dont l’OEE.
Cette politique conduit de plus en plus de personnes à être contaminées dans les Cra (notamment le Mesnil-Amelot, Toulouse, Oissel, Vincennes) où il est impossible d’organiser des gestes barrières rigoureux et d’isoler les personnes si besoin.
Cet enfermement est au surplus largement abusif car dans la plupart des cas les expulsions sont impossibles du fait de la fermeture des frontières des États vers lesquels elles ont été ordonnées.
Depuis début septembre, certains pays sont cependant prêts à recevoir des personnes expulsées à condition que les autorités françaises présentent un test PCR négatif récent. Une mesure de santé publique – l’usage des tests – peut ainsi être détournée de sa finalité pour être confondue avec une mesure de répression administrative – le renvoi grâce à la certification de test négatif. Et ce détournement contredit les principes de l’éthique médicale.
Ainsi, les personnes enfermées en rétention se trouvent-elles dans une situation intenable. Si elles souhaitent évidemment être testées pour protéger leur santé, notamment lorsque des cas positifs sont identifiés dans le Cra où elles se trouvent, elles ne peuvent consentir librement à le faire car elles risquent alors d’être expulsées.
Elles préfèrent généralement sacrifier leur santé, prises en otage d’une politique qui donne la priorité à enfermement et à l’expulsion sur leurs droits les plus fondamentaux.
Pire, les autorités françaises commencent à mettre en œuvre une politique plus coercitive encore à l’égard de ces personnes. Alors qu’elles ont en principe le droit de refuser d’être testées, comme toute personne a le droit de refuser un acte médical, a fortiori invasif, elles sont poursuivies devant le tribunal correctionnel pour obstruction à l’exécution de leur « éloignement ». Plusieurs personnes ont déjà été condamnées à des peines de prison fermes ou avec sursis.
Ces poursuites et ces condamnations contreviennent à la fois aux principes fondamentaux du droit pénal et aux principes qui gouvernent le respect du corps humain : voir en annexe, l’analyse juridique conduisant à cette conclusion.
Cette dérive répressive démontre encore, s’il en était besoin, que le fonctionnement des Cra est incompatible avec le respect du droit à la santé dans le contexte sanitaire actuel. Au lieu de protéger et soigner et de prévenir ainsi la propagation de l’épidémie, le gouvernement expose les personnes enfermées en rétention à la pandémie et les soumet à une répression inacceptable.
La fermeture des Cra est la seule solution viable, en particulier dans le contexte sanitaire actuel.
Organisations membres de l’OEE : Acat-France, Avocats pour la défense des droits des étrangers, Anafé, Comede, Droit d’urgence, Fasti, Genepi, Gisti, La Cimade, Ligue des droits de l’Homme, Mrap, Observatoire Citoyen du Cra de Palaiseau, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature.
Le 21 septembre 2020
ANNEXE
Analyse juridique sur l’absence de fondement des poursuites et condamnations
pour obstruction à exécution d’une mesure d’éloignement
1/ Le principe de la légalité des délits et des peines et le principe d’interprétation stricte des infractions pénales, qui en est le corollaire, interdisent d’étendre le champ d’application d’un texte répressif au-delà de l’intention clairement exprimée par le législateur et de sanctionner des comportements qui ne seraient pas expressément visés par la loi.
En l’occurrence, le refus de se faire tester n’entre à l’évidence pas dans la définition du délit décrit et sanctionné l’article L. 624-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda).
Tout étranger qui se soustrait ou qui tente de se soustraire à l’exécution […] d’un arrêté d’expulsion, d’une mesure de reconduite à la frontière ou d’une obligation de quitter le territoire français est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement. Cette peine est également applicable à l’étranger qui refuse de se soumettre aux modalités de transport qui lui sont désignées pour l’exécution d’office de la mesure dont il fait l’objet.
La peine prévue au deuxième alinéa du présent article est applicable à l’étranger maintenu en zone d’attente ou en rétention administrative qui se soustrait ou tente de se soustraire à la mesure de surveillance dont il fait l’objet. […]
La peine prévue au deuxième alinéa est applicable à tout étranger qui ne présente pas à l’autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l’exécution de l’une des mesures mentionnées au premier alinéa ou qui, à défaut de ceux-ci, ne communique pas les renseignements permettant cette exécution ou communique des renseignements inexacts sur son identité.
Alors que le législateur a inclus dans la tentative de se soustraire à une mesure d’éloignement le fait de ne pas présenter ses documents de voyage ou de ne pas communiquer les renseignements exacts permettant son exécution, le refus de se soumettre à un test – qui ne constitue du reste qu’un obstacle très indirect à l’exécution d’une mesure d’éloignement – n’a pas, à l’inverse, été inclus. Il n’entre donc tout simplement pas dans la définition – et par voie de conséquence dans le champ d’application – de l’infraction.
2/ Un des principes fondamentaux qui régissent le respect du corps humain est celui du consentement libre et éclairé pour tout acte qui risque de porter atteinte à l’inviolabilité du corps humain et à son intégrité.
Ainsi, l’article 16-3 du Code civil dispose :
Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui.
Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir.
Et l’article L. 1141-4, al. 4 du Code de la santé publique rappelle que
[…] Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.
Aucun acte médical, a fortiori invasif comme c’est le cas des tests Covid, ne peut donc être pratiqué sans le consentement de la personne.
L’exigence du consentement de la personne ne peut être levée, hors le cas d’urgence médicale, que lorsque le législateur l’a prévu : c’est le cas des vaccinations obligatoires ou de la prise d’empreintes génétiques recueillies afin d’alimenter le FNAEG, le refus de se soumettre à un prélèvement constituant une infraction.
Ajoutons que les conditions dans lesquelles le test est proposé aux personnes placées en rétention posent de toutes façons un problème : si la personne retenue sait qu’en refusant de se faire tester elle risque des poursuites pénales, et qu’en acceptant de se faire tester elle accroît le risque d’être éloignée si le test est négatif, quelle liberté lui est véritablement laissée ? Que devient le principe du consentement libre ?