Au premier novembre, 150.000 sans-papiers ont déposé une demande de régularisation. Outre l’extrême lenteur des procédures administratives, et le faible nombre des réponses positives, il faut bien constater l’arbitraire des procédures et des réponses des préfectures. L’ordre du traitement des dossiers l’incohérence et la disparité dans les exigences imposées, les décisions contradictoires nous ramènent presque au temps où les dossiers étaient traités au ’ cas par cas ’ Certains, pourtant régularisables, se voient opposer, de façon absurde, leur condamnation antérieure à une interdiction du territoire français qui ne fut motivée que du seul fait d’une situation alors irrégulière. Mais surtout, au-delà des premiers refus, on nous laisse entendre que plusieurs dizaines de milliers de dossiers seraient rejetés.
L’opération de régularisation risque donc de se transformer en un véritable piège pour ceux qui ont fait confiance à l’administration parce que, convaincus de ce que leur situation personnelle correspondait aux prévisions de la circulaire, ils ont fourni la preuve de leur identité et leur adresse, permettant ainsi de constituer dans les préfectures une redoutable fichier.
Le gouvernement laisse entendre qu’il n’ira pas chercher les gens chez eux et, qu’après leur avoir délivré une invitation à quitter le territoire, il tolérerait leur présence. Il serait d’ailleurs bien incapable de les reconduire à la frontière. Un pont aérien ininterrompu de charters pendant des mois n’y suffirait pas. Ainsi, on risque de voir à nouveau rejeter vers la clandestinité des dizaines de milliers de personnes qui ont pourtant montré leur attachement à notre société en constituant des dossiers établissant leur présence souvent très ancienne sur notre territoire et leur volonté d’intégration. On connaît les conséquences d’un tel rejet : précarité personnelle ou familiale, travail noir, risque permanent d’expulsion, chantage à la délation…
Les sans-papiers qui l’an dernier ont agi en citoyens ne peuvent retourner à l’insupportable situation qui était la leur avant leurs mouvements. Devrons-nous connaître de nouveaux Saint-Bernard ? On laisse entendre pour les apaiser qu’il ne s’agirait là que d’annonces politiquement nécessaires, mais, que tout s’arrangerait avec le temps, qu’il serait seulement indispensable de ne pas laisser le Front national et la droite exploiter à nouveau le terreau xénophobe de l’opinion en annonçant une régularisation massive. Mais c’est justement la conduite d’une telle politique d’annonce qui fait le jeu de l’extrême droite en faisant apparaître aux yeux de l’opinion que même pour un gouvernement de gauche, la régularisation et l’insertion dans notre société d’étrangers paisibles y vivant déjà constituerait un facteur de trouble et de danger.
Le Conseil d’État a rappelé dans son avis du 22 août 1996 que l’administration a toujours le pouvoir de régulariser qui bon lui semble dès lors qu’elle le juge opportun. Il est opportun aujourd’hui de régulariser tous ceux qui ont montré leur volonté d’insertion, qui veulent vivre et travailler normalement en réglant leur cotisations sociales. L’Italie vient de régulariser 250.000 personnes, l’Espagne 100.000 et le Portugal 100.000, la France, quatrième puissance économique du monde ne serait pas déséquilibrée par la régularisation de 150.000. Les retards, les tergiversations des préfectures ne laissent pas d’autre issue au gouvernement que de mettre un terme généreux et réaliste à cette situation insupportable en régularisant les sans papiers qui en ont fait la demande.
Paris, le 20 novembre 1997