Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle française du 21 avril 2002 ont provoqué une onde de choc qui a largement dépassé les frontières de l’hexagone. C’est en raison de la gravité de cette situation, que la FIDH, qui n’a jamais pris position dans un scrutin se déroulant dans un pays démocratique, appelle aujourd’hui les Français à se mobiliser en masse le 5 mai prochain. La FIDH soutient avec force l’appel lancé de son affiliée française la Ligue des droits de l’Homme (LDH) à voter pour M.Chirac, seul moyen de faire effectivement barrage à M. Le Pen.
L’événement du 21 avril, tantôt qualifié de « séisme », « d’électrochoc » ou de « tremblement de terre », a bouleversé toutes celles et ceux qui, à travers le monde, considèrent la France comme la Patrie des droits de l’Homme, un pays dont le peuple a forgé dans la douleur et le sang le message universel de la Fraternité et de la dignité humaine.
Que s’est-il donc passé ? La France veut-elle rejoindre le camp honni de la surenchère sécuritaire qu’occupent l’Autriche, l’Italie, le Danemark, et qu’elle a elle-même fustigés ? Comment une frange si importante de la société française a-t-elle pu succomber aux tentations dangereuses d’une idéologie extrémiste qui postule la « préférence nationale » et dont le programme, « pour un avenir français », n’est qu’un condensé de rancœur, de racisme, de xénophobie et d’enfermement identitaire ? De l’interdiction du regroupement familial, à la notion de « préférence nationale », en passant par une régression sans égale du rôle de la femme dans la société, et une intolérance sans nom vis-à-vis de « l’impérialisme culturel cosmopolite », cette insanité n’est de fait, dans son contenu tout entier, qu’une incitation à la haine de l’humanité.
Ce terrible message des urnes est inacceptable au regard de l’histoire de la France dans un pays qui s’est dressé pour lutter contre le fascisme et toutes les idéologies de la mort. Il l’est encore davantage au regard de la contribution exceptionnelle de la France à la création de l’ONU, cet instrument majeur que l’humanité s’est donné pour bâtir un monde de paix débarrassé de la barbarie, et à l’élaboration des principaux instruments internationaux qui consacrent les principes universels de la démocratie et des droits de l’Homme.
La date du 21 avril ne peut être qu’un dérapage, une « infortune de la République » dont les raisons sont multiples et complexes. On en retiendra d’abord que les électeurs n’étaient pas au rendez-vous ce sinistre jour. Ils ont boudé les urnes soit par rejet, soir par calcul, soit par indifférence. Ils ont eu tort car la démocratie n’est pas un jeu. Le suffrage universel est un droit qui a été conquis de haute lutte. Son corollaire est le devoir de voter, celui d’exprimer son opinion aux échéances républicaines qui restituent aux citoyens le pouvoir souverain de valider ou d’invalider le mandat de ses dirigeants.
Les électeurs français doivent, à présent, dépasser l’incrédulité, la rage, le sentiment de culpabilité dont ils souffrent et qu’expriment avec force les centaines de milliers de personnes qui manifestent quotidiennement dans les rues. S’ils veulent se réconcilier avec eux-mêmes et réconcilier la France avec elle-même, ils doivent se mobiliser dans un sursaut d’honneur, pour prendre d’assaut les urnes le 5 mai et voter pour le candidat de la République, et laver ainsi l’affront fait à la démocratie. Le 5 mai, la FIDH et la LDH appellent à un plébiscite pour la démocratie en France.
Sidiki Kaba, président de la FIDH
Michel Tubiana, vice président de la FIDH, président de la LDH
Paris le 1er mai 2002