Tribune collective signée, entre autres, par Malik Salemkour, président de la LDH, et Françoise Dumont, présidente d’honneur de la LDH
Professionnels de l’éducation et du social, acteurs de la justice des mineurs, représentants du monde associatif… Plus de 110 signataires publient une tribune mercredi sur franceinfo.fr dans laquelle ils apportent leur analyse et proposent des actions afin de tenter d’éviter de nouveaux « drames terribles ».
Lundi 22 février, une jeune fille de 14 ans est morte poignardée à Saint-Chéron, en Essonne. Le lendemain, un adolescent de 13 ans a été mortellement touché au cou à Boussy-Saint-Antoine, dans le même département. Dimanche 28 février, trois jeunes ont été blessés, dont deux par arme blanche, dans la cité Charles Schmidt de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis. Lundi 8 mars, deux adolescents de 14 et 16 ans ont été blessés aussi à l’arme blanche à Champigny-sur-Marne, dans le Val-de-Marne, et transportés en urgence absolue à l’hôpital…
Les rixes entre bandes rivales se sont multipliées depuis le début d’année. Face à ces phénomènes de violence entre jeunes, 115 signataires, citoyens, parents, professionnels de l’éducation et du social, acteurs de la justice des mineurs, enseignants, animateurs sociaux, médiateurs, représentants du monde associatif, publient mercredi 10 mars une tribune sur le site de franceinfo, appelant « à réfléchir ensemble aux solutions pour prévenir leurs renouvellements et tenter d’éviter des drames terribles ».
Dans ce texte, ils pointent notamment « l’absence de dialogue avec la jeunesse et une prévention spécialisée absente ou en recul dans beaucoup de territoires de notre pays ». Ils dénoncent un manque de moyens et des « politiques sécuritaires renforçant les mesures pénales et leur mise en œuvre, au détriment d’un travail de fond, en amont ».
« Nous ne pouvons pas rester sans réagir et nous pouvons apporter nos analyses et propositions de solutions », expliquent les signataires, qui ont aussi lancé une pétition sur le site change.org, alors que le Premier ministre Jean Castex doit présider une réunion interministérielle vendredi sur le phénomène des affrontements entre bandes.
Face aux faits de violences entre jeunes, privilégions l’action sociale, l’éducation et la médiation !
Les rixes qui ont eu lieu ces dernières semaines nous choquent, nous attristent, car elles provoquent la mort d’adolescent.e.s, créent des situations de douleurs et de souffrances chez les jeunes, au sein de leurs familles, et dans leurs entourages. Passé le temps de la sidération, de l’incompréhension et de la colère, il nous faut réfléchir ensemble aux solutions pour prévenir leurs renouvellements et tenter d’éviter des drames terribles.
Car en tant que citoyens, parents, professionnels de l’éducation et du social, acteurs de la justice des mineurs, enseignants, animateurs sociaux, médiateurs, représentants du monde associatif, nous tenons à rappeler que l’on parle d’enfants et jeunes adultes pour qui notre société à un devoir d’éducation et de protection.
Premier constat, le phénomène des bandes existe depuis toujours ; même s’il ne constitue pas le quotidien de la justice des mineur.e.s et que des désaccords font jour entre ministère de la Justice et ministère de l’Intérieur sur son importance et notamment sur son augmentation. Depuis quelques années, il prend une forme nouvelle par le canal des réseaux sociaux et une importance plus grande du fait de sa médiatisation.
« Des jeunes en souffrance »
Les regroupements violents des adolescent.e.s et jeunes majeur.e.s viennent signifier aux adultes et aux institutions leurs difficultés à vivre dans certains de nos quartiers et de nos villes. Loin des propos hâtifs, sécuritaires et des « brèves de comptoir », échangés largement par des chroniqueurs et des politiques dans certains médias, nous disons que la plupart de ces jeunes, parfois en situation de délinquance, parfois violents, sont avant tout des jeunes en souffrance, en difficultés sociales, scolaires, personnelles.
Les trois rixes qui ont eu lieu dans le département de l’Essonne et Seine-Saint-Denis ces derniers jours, occasionnant décès et blessures graves, questionnent plus largement sur l’existence, l’insuffisance voire l’absence de moyens pour les services publics d’éducation et de protection de l’enfance, de prévention spécialisée et de médiation.
« Des réactions violentes désastreuses »
Comme ont pu le rappeler des médiateurs intervenant dans les quartiers, pour les jeunes, se regrouper en bande « c’est une façon de se protéger », face à un monde dangereux parfois relégué, où la confrontation sociale avec les pairs peut rapidement survenir, entraînant des réactions violentes désastreuses et dramatiques, souvent regrettées quelques instants après, mais hélas trop tard…
Aujourd’hui, dans beaucoup de quartiers, les jeunes peuvent être livrés à eux-mêmes. La plupart des services publics sont menacés et fonctionnent avec des moyens ne leurs permettant pas d’offrir un service de qualité à la population avec des horaires adaptés pour tous les âges, notamment les jeunes. Quant à la prévention spécialisée, celle-ci fait cruellement défaut sur certains territoires, ne disposant pas des moyens suffisants pour mettre en place des actions d’envergure à la hauteur des besoins et des enjeux.
Une action associative « de plus en plus fragile »
Le monde associatif est présent, de plus en plus investi, porteur d’idées novatrices. Mais si son intervention repose sur des bonnes volontés incontestables et une énergie notable de ses membres, elle ne saurait combler le vide, trop souvent constaté, laissé par la disparition des services publics. Le manque de locaux pour l’accueil des publics jeunes et la baisse des subventions vers ces associations rendent leur action de plus en plus fragile.
Ennui, désœuvrement, frustration, phénomènes d’errance : certains jeunes se créent des espaces qu’ils et elles investissent avec parfois des conséquences sociales et judiciaires qu’ils ne mesurent pas.
Face à une telle situation, il est plus qu’urgent de rompre avec les politiques sociales, éducatives, économiques en vigueur depuis ces trente dernières années. Cela passe par un réinvestissement public des espaces, notamment dans les territoires urbains et ruraux touchés par la désertification des services publics !
Des solutions par l’éducation, la prévention, la médiation
Pour cela, nous proposons que soient mis en débat et en action les propositions suivantes :
– mise en place d’une éducation à la non-violence en direction des enfants et des adultes avec l’ensemble des acteurs de l’éducation et de la protection de l’enfance, dans laquelle l’Éducation nationale devra avoir un rôle, majeur, à jouer ;
– renforcement des services de la prévention et de la protection de l’enfance ;
– renforcement de la place et du rôle des familles, loin des paroles et mesures stigmatisantes ;
– création de postes supplémentaires de médiateurs sociaux, bien formés, disponibles sur l’espace public et à des horaires adaptés ;
– soutien des associations locales en terme de moyens au regard de leur rôle essentiel et complémentaire dans les solidarités et la prévention quotidienne;
– développement d’une politique de soins à l’adresse de certains jeunes en grande souffrance psychologique notamment par la mise en place de services de pédopsychiatrie et de CMP en nombre suffisant et accessibles, permettant de détecter les difficultés le plus tôt possible, si besoin en lien avec les écoles et les associations, pour les prévenir le plus en amont ;
– accroissement de la place des adultes auprès des jeunes en établissant une politique où chacun peut par son action participer à la co-éducation, ceci afin d’intervenir avant qu’il ne soit trop tard.
Ces mesures ou axes de réflexion ne peuvent avoir de sens que si l’on remet de manière substantielle les moyens vers l’éducation, la prévention spécialisée, la médiation et l’ensemble des services publics, notamment dans les départements les plus pauvres et sous dotés budgétairement.
Depuis trop longtemps, les politiques libérales ont déconstruit l’état social au profit de politiques sécuritaires renforçant les mesures pénales et leur mise en œuvre, au détriment d’un travail de fond, en amont. Aujourd’hui, il faut faire le choix de la prévention et de l’éducation.
Lire sur le site de FranceInfo avec la liste de signataires