Les dernières élections régionales et départementales de juin dernier ont été frappées par un record historique d’abstention. Deux personnes sur trois inscrites sur les listes électorales ont décidé de ne pas choisir leurs représentants qui siègeront au sein d’assemblées locales, aux compétences pourtant importantes dans notre vie quotidienne.
Cette nouvelle claque au fonctionnement de nos institutions démocratiques interpelle directement les partis politiques en présence, ainsi sèchement sanctionnés, mais elle alerte aussi tous les acteurs engagés dans la promotion d’une citoyenneté active et délibérative où chacune et chacun participe, à égalité, aux choix des orientations de l’action publique à mener.
Des éléments conjoncturels ont sûrement pesé sur cette démobilisation civique massive.
Comme pour les municipales de 2020, la gestion chaotique de la crise sanitaire par le gouvernement l’a conduit à des hésitations sur la date de tenue de ces élections. Leur convocation tardive ne s’est pas accompagnée de forts et réguliers messages de l’Etat incitant à la participation, ni de rappel des enjeux portés par les attributions importantes des régions et des départements.
La campagne électorale s’est déroulée dans des conditions sanitaires très contraignantes, limitant les rencontres et débats publics ainsi que les échanges directs sur le terrain entre les candidats et la population.
Ces défaillances préjudiciables ne peuvent cacher le problème plus profond d’une désaffection croissante des urnes qui se déplore et s’accélère à chaque nouveau scrutin.
Des réformes techniques sur les modalités de vote sont envisageables, comme pour simplifier les procédures d’inscription sur les listes électorales et les procurations, ou débattre du vote électronique. Mais ce ne sont que des pis-aller si le mal n’est pas traité à la racine. Le vote obligatoire que certains évoquent serait aussi une réponse coercitive illusoire, contraire à l’adhésion volontaire et positive à rechercher.
L’enjeu est de redonner l’envie, le sens et l’utilité du vote citoyen à tous les échelons territoriaux.
Emmanuel Macron promettait en 2017 de réenchanter le politique. Louable ambition mais quatre ans après son arrivée à l’Elysée, le bilan est affligeant et la défiance populaire accrue.
Son choix d’un hyperprésidentialisme omnipotent, de reconcentration autoritaire de l’Etat, jusqu’à la caricature durant l’état d’urgence sanitaire se conjugue avec un mépris des contrepouvoirs constitutionnels, des élus locaux et des corps intermédiaires. Cette logique dénature notre système républicain. Elle exacerbe une confrontation binaire entre l’exécutif et la population, discréditant et tentant de rendre sans intérêt tout filtre d’organisations collectives, devenues au mieux des exécutantes irresponsables.
Des démarches de concertations directes ont été posées en exemples alternatifs, tels les grands débats suivant la crise des gilets jaunes, ou la conférence citoyenne sur le climat. Les suites données à ces travaux et aux paroles exprimées ont été très décevantes et vivement critiquées, tant l’écart avec les engagements pris était flagrant. Le malaise démocratique et la distance avec tous les dirigeants politiques s’en trouvent amplifiés.
« Notre démocratie se fonde sur des acteurs indépendants, reconnus, respectés et écoutés »
Une démocratie délibérative, vivante et pacifiée, repose au contraire sur la force de toutes ses voix.
L’attention populaire reste toujours forte envers la vie publique, les débats politiques, en témoignent les échanges sur les réseaux sociaux sur tous ces sujets, comme les dernières mobilisations sociales. Elle ne se retrouve néanmoins pas en participation électorale. L’abstention du premier tour des élections régionales et départementales a été abyssale parmi les personnes de moins de 35 ans et dans les quartiers populaires, avec des taux allant jusqu’à plus de 90 %.
Que la jeunesse et les plus précaires ne se soient pas déplacés est une tendance longue, inquiétante, qui alerte sur la croyance perdue de leur appartenance légitime à l’espace politique, d’influer sur la prise en compte de leurs attentes et de réponses adaptées à leurs besoins et à ceux de leurs familles.
La question du droit de vote des ressortissants étrangers est à reposer, participant à la vie économique, culturelle et sociale des territoires, payant des impôts locaux, sans aucun droit de regard sur les décisions prises et qui pourtant les concernent comme tous les autres habitants. Corriger ce déni de citoyenneté peut aider à créer une dynamique civique enrichissante reposant sur l’égalité des droits, et offrir une riposte démocratique aux idées d’exclusion et de tensions portées par l’extrême droite.
Notre démocratie se fonde sur des acteurs indépendants, reconnus, respectés et écoutés, dans une interaction fructueuse avec le pouvoir central et des attributions effectives. Ce sont les collectivités territoriales, dont la place et le rôle méritent d’être confirmés et renforcés.
Le chantier de la décentralisation, au-delà de la réforme technocratique de la loi 4D (déconcentration, décentralisation, différenciation, décomplexification), actuellement en débat au Parlement, est à reprendre avec ambition pour leur accorder des pouvoirs lisibles, des ressources et une fiscalité autonomes et maîtrisées dont les élus pourront rendre compte.
La démocratie a besoin de cette proximité pour répondre au mieux aux aspirations concrètes des habitants et aux enjeux spécifiques de chaque territoire. Ce sont les organisations syndicales, acteurs essentiels du dialogue social encore plus nécessaire en ces temps de difficultés économiques accrues, qui sont à conforter dans un paritarisme et une démocratie sociale à rénover, afin de garantir aux salariés, aux demandeurs d’emploi et aux retraités, dans une approche intergénérationnelle et solidaire globale, une représentation puissante pour la défense et la promotion de leurs droits individuels et collectifs, plutôt que d’imposer par la loi l’individualisation et la précarité, comme avec la réforme injuste de l’assurance chômage, après celle du droit du travail.
Ce sont également les associations, dont l’expertise et la parole légitime sont à reconnaître dans un dialogue civil à organiser à tous les niveaux de décisions publiques. Leur mise au pas voulue par la loi séparatisme, avec un contrat d’engagement républicain contraignant et abusif, viole la liberté et l’indépendance associatives, en défiance inédite envers tous leurs membres qui incarnent une citoyenneté pratique autour d’un objet collectif.
La confiance envers les politiques se construit par la preuve, par le respect de toutes les voix, individuelles ou organisées, de toutes les citoyennes et tous les citoyens à égalité de droit.
A côté de la forme qui garantit une délibération collective éclairée et pacifique sur tous les enjeux publics, il reste la question principale de l’offre politique actuelle que l’électorat refuse par son vote, et surtout son non-vote.
Les partis républicains, plutôt que de suivre l’extrême droite, doivent bâtir des projets crédibles, rassembleurs et aptes à porter une vision partagée de justice, de liberté, d’égalité, pour faire vivre une démocratie solidaire où chacune et chacun a sa place et en main son destin.
Paris, le 25 juin 2021
Malik Salemkour, président de la LDH
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