Monsieur le Ministre,
Nous revenons vers vous à la suite de l’entretien que vous nous avez accordé le 5 septembre 2002 à propos de la situation des « sans-papiers ». Au cours de cette entrevue, vous nous avez annoncé diverses orientations dont nous avons pris acte. Nous vous avions, toutefois, exprimé un certain nombre d’objections. D’une part, ne pas modifier les dispositions législatives actuellement applicables ne permettra pas de résoudre l’ensemble du problème des « sans-papiers ». D’autre part, renvoyer le traitement des différents dossiers à l’analyse au cas par cas des préfectures, fût-ce dans un premier temps sous la responsabilité directe des préfets, ne peut que laisser perdurer l’incohérence et l’arbitraire qui ont déjà présidé à l’examen des dossiers. C’est la raison pour laquelle nous vous avions demandé de créer une commission nationale ad hoc afin d’évaluer les pratiques et d’examiner les dossiers. Certes, vous avez confié à Madame Escoffier une mission d’études et de propositions. Madame Escoffier a d’ailleurs commencé ses consultations et nous nous félicitons de la qualité du dialogue et de l’écoute. Mais cette mission ne saurait se substituer à une commission nationale. Après avoir réuni des représentants de la LDH et du MRAP des régions les plus concernées par les sans-papiers, nous sommes, en effet, amenés à constater nombre de dysfonctionnements, y compris au regard de l’application des orientations que vous avez annoncées.
Tout d’abord, nous voudrions relever que nous avons demandé à votre cabinet, à deux reprises, communication des instructions que vous avez envoyées à vos services et auxquelles ceux-ci font, parfois, référence (nous n’évoquons pas ici la circulaire concernant l’application anticipée des accord franco-algériens et franco-tunisiens). Elles ne nous ont toujours pas été communiquées. Ceci nous paraît contradictoire avec la volonté de transparence dont vous nous avez assurés. Nous le regrettons d’autant plus vivement que, dès lors, il règne une incertitude quant à l’étendue exacte de vos instructions, ce qui interdit d’aider efficacement ceux qui s’adressent à nous ou aux différentes coordinations.
De l’avis de tous nos représentants, cette situation entraîne une certaine confusion amplifiée par l’attitude très disparate des différentes préfectures.
Si un dialogue s’est établi avec Monsieur le Préfet de Paris, il s’avère que les centres d’accueil des étrangers ouverts dans la capitale n’ont pas les moyens de répondre aux demandes et se renvoient la réception des dossiers les uns aux autres. Dans la Seine-Saint-Denis, les services ne sont manifestement pas en mesure de traiter les demandes et ce malgré l’ouverture de discussions avec Monsieur le Préfet.
A Rennes, la préfecture se refuse à recevoir les délégations. A Lyon, le Préfet, ou ses services, veulent bien recevoir une délégation des sans-papiers mais pas les associations. A Clermont-Ferrand, le Préfet et ses services restent muets. A Marseille, si une entrevue a eu lieu, elle n’a abouti à aucun résultat concret. Aucune mesure concernant les réexamens n’a été mise en place. A Nantes, le climat reste détestable (il arrive que les membres des associations soient insultés). A Nancy, le statut quo prévaut.
A Bordeaux, rien n’a changé. A Lille, le dialogue qui existait se poursuit sans que, pour autant, un changement dans le traitement des dossiers soit envisagé. Dans le Val-de-Marne, le Val-d’Oise et l’Essonne, rien ne change.
Dans tous les cas, les délais restent extrêmement longs. On continue à remettre des convocations à plusieurs mois, voire à plus d’un an.
Ce bref survol des principales préfectures renforce notre sentiment. Sans même revenir sur le fait que les mesures dont vous nous avez fait part sont insuffisantes et vagues dans leur contenu, elles restent incertaines dans leur application puisqu’elles demeurent soumises au bon vouloir des préfectures.
Enfin, et ceci est le plus grave, pendant le réexamen des dossiers les expulsions continuent.
Nous voudrions attirer votre attention sur le fait que des hommes et des femmes, parfois des familles entières, ont pris le risque de sortir de la clandestinité parce qu’ils n’en pouvaient plus et, depuis l’annonce d’un changement d’attitude des pouvoirs publics, parce qu’ils nourrissent l’espoir de voir leurs droits enfin reconnus.
Il est inconvenant que, utilisant cette situation, vos services continuent, parfois en profitant de ce que les sans-papiers se manifestent auprès d’eux, de procéder à des expulsions. Il est tout aussi inacceptable que soient expulsées des personnes dont le dossier pourrait être réexaminé, les privant ainsi de l’application des mesures dont vous avez pris l’initiative.
Certains peuvent penser que l’espoir qui est né permettra de faire patienter et que le souhait d’être régularisé fera passer sous silence que celui qui ne l’est pas est expulsé. Vous savez bien qu’il n’en sera rien tant l’attente, parfois depuis plus de 15 ans pour certains, nourrit l’impatience et la méfiance à l’égard de ceux qui croient pouvoir diviser ce mouvement.
C’est pourquoi nous vous demandons :
· De mettre en œuvre, d’urgence, une commission nationale ad hoc.
· De rendre publiques les instructions que vous avez données à vos services et d’assurer une totale transparence en ce domaine à l’avenir.
· De décider d’un moratoire sur toutes les expulsions.
Vous comprendrez que nous rendions publique cette lettre.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’assurance de notre haute considération.
Mouloud AOUNIT (pour le MRAP), Guy BEDOS, Dan FRANCK, Valère STARASELSKI et Michel TUBIANA (pour la LDH)
Paris, le 25 septembre 2002