Sur le projet de réforme du droit de la nationalité

Une rencontre
franco-allemande

(juin 2001)

Le 7 avril 1945, 5.000 déportés du camp de concentration de Buchenwald, essentiellement du « petit camp », étaient « embarqués » en gare de Weimar dans 50 wagons de marchandises (soit environ 100 par wagon) ; le convoi ferroviaire devait rejoindre le camp de Flossenbürg.

Ce transport qui dura 21 jours atteignit le camp de Dachau (près de Munich) dans l’après-midi du 27 avril 1945 pour une partie, et dans la nuit du 27 au 28 avril pour l’autre partie.

800 déportés encore en vie entrèrent dans le camp, laissant dans les wagons des centaines de cadavres (des photographies de ce convoi rempli de morts parurent dans la presse du monde entier).

500 moururent dans les semaines qui suivirent la libération du camp de Dachau (après-midi du 29 avril 1945).

Ce fut un convoi d’extermination (85 % de décès) ; certainement l’un des plus meurtriers.

L’estimation présente des pertes de ces convois d’évacuation pour l’ensemble des camps entre mars et mai 1945 se monte à 250.000 hommes, dont 200.000 moururent durant ces quelques semaines.

Notre convoi resta six jours, du 18 au 24 avril 1945, sur les voies de garage de la petite gare de Nammering (à 700 mètres d’altitude au pied des monts de Bohème ; à 180 kilomètres au nord de Munich, non loin du Danube et dépendant de la commune d’Aïcha Vorm Wald). Ce convoi était composé de wagons ouverts et fermés et de wagons métalliques découverts (mon wagon appartenait au matériel ferroviaire français pour le transport de charbon…). La nourriture et la boisson furent pratiquement inexistantes. A Nammering il pleuvait (cinq centimètres d’eau dans les wagons découverts) et il neigeait…

Les réactions des gardes SS (deux, à l’intérieur de mon wagon) étaient brutales ; ils sentaient confusément que la fin de la guerre approchait (les armées alliées de l’ouest et de l’est allaient très bientôt se rejoindre).

Meurtres par les gardes, tueries entre détenus, morts par inanition et (ou) suffocation… Le réel problème était l’abandon des cadavres. Plusieurs centaines furent sommairement enfouies dans les champs près de la voie ferrée, avant d’arriver à Pilsen. A Nammering, nous laissâmes les dépouilles de 794 de nos camarades (270 corps brûlés et 524 autres cadavres).

Les rescapés arrivés, par miracle, à Dachau furent tout de suite après la Libération remarquablement soignés par la « Mission Vaticane » et les services de santé de l’Armée américaine (et ce grâce à des médecins militaires spécialisés dans la lutte contre le typhus exhantématique).

Avant le retour en France la plupart furent emmenés en convalescence sur les bords du lac de Constance, grâce à la Première Armée Française.

Au cinquantième anniversaire de la libération du camp de Dachau, le 29 avril 1995, deux rescapés de ce convoi décidèrent d’en regrouper les survivants : 33 camarades français furent retrouvés. Cinq sont morts depuis cette date.

Les 28 rescapés prirent la décision de se retrouver chaque année et ce depuis 1997.

Ils décidèrent de se rendre en pèlerinage à Dachau en 2001. Celui-ci eut lieu du 19 au 12 juin.

Sept rescapés y participèrent avec des membres de leurs familles.

Outre la visite des sites du camp de Dachau, la découverte de Nammering était au programme, avec la volonté de nous recueillir sur les lieux mêmes où les corps et les ossements de nos 794 camarades avaient été ensevelis. Ce voyage eut lieu le dimanche 10 juin 2001 ; il avait été remarquablement préparé par Sylvie Graffard, habituelle collaboratrice et interprète du Président du C.D.I. (Comité International de Dachau).

Notre but était double :

*

Faire connaissance avec cette population allemande qui, à l’initiative de son curé, le Pfarrer Johann Bergmann, avait bravé les gardes SS et nous avait ravitaillés (une goutte d’eau, un gramme de pain, mais un élément d’humanité dans ce déferlement barbare…).
*

Découvrir les lieux de sépulture de nos malheureux camarades.

Ce contact dépassa nos espérances.

Nous fûmes accueillis officiellement dans l’église paroissiale d’Aïcha Vorm Wald par le curé, Pfarrer Eberhard Eibl, et le maire, Monsieur Siegfried Bürgermeister. Ce dernier expliqua pendant cinq minutes aux fidèles présents les motivations de notre voyage, puis je fis une déclaration traduite en allemand d’après le texte en français ci-dessous :

« Monsieur le Curé, Mesdames, Messieurs,
Nous sommes des Français qui avons séjourné à Nammering du 19 au 24 avril 1945 ; nous étions des déportés politiques venant du camp de concentration de Buchenwald que notre convoi ferroviaire avait quitté le 7 avril 1945. Les conditions de ce voyage furent extrêmement sévères et les pertes représentèrent 85 % des hommes montés dans ces wagons en gare de Weimar.
Accompagnés de membres de nos familles, nous sommes ici pour nous recueillir sur les lieux où furent inhumés 794 de nos camarades à Eging, Fürstenstein, Nammering, Renholding et Aïcha Vorm Wald, soit 270 corps brûlés et 524 cadavres, et surtout pour exalter la mémoire de votre ancien curé, Pfarrer Johann Bergmann. Celui-ci eut le courage physique et moral d’affronter les officiers SS de notre convoi et de nous apporter des vivres collectées dans sa paroisse. Vos familles répondirent à cet appel.
Nous les remercions en nous associant à votre prière ».

Dans l’après-midi, nous fûmes accueillis par les maires d’Eging am See, Monsieur Georg Stadler; et de Fürtenstein, Monsieur Joseph Wax. Enfin, nous fûmes accompagnés toute la journée par le maire d’Aïcha Vorm Wald et par deux citoyens allemands, Messieurs Hübl et Saller, qui créèrent il y a vingt ans une association, « KZ Transport 45 », dans le but de protéger les tombes et d’honorer la mémoire de nos camarades.

La gare de Nammering et les voies ferrées n’existent plus, mais à l’orée de la forêt, sur un sentier touristique qui surplombe le site, une simple pierre de granit rappelle leur souvenir.

Nous avons constaté avec sérénité que partout les monuments sont entretenus et fleuris, sous la responsabilité du Ministère de la Culture de l’État Libre de Bavière.

Nous avons été profondément émus et nous tenions à en porter témoignage.

Nous fûmes reçus au camp de Dachau par notre amie, Madame Barbara Distel, directrice du Mémorial du camp (celui-ci accueille chaque année entre 700.000 et 800.000 visiteurs, dont une forte majorité de jeunes Allemands). Elle resta avec nous toute la journée ; nous avons pu ainsi prendre mieux conscience des travaux de « restauration » entrepris pour rendre au camp un aspect proche de ce qu’il était en 1945, et ce de par la volonté du gouvernement bavarois et du C.I.D. qui travaillent ensemble en toute confiance. Il faut se rappeler qu’à la Libération, après le départ des déportés, les Forces américaines firent du camp un lieu pénitentiaire pour les Allemands nazis en cours de jugement, lors des « procès de Buchenwald » et « procès de Dachau » (parmi les accusés figurait l’Obersturmführer Hans Erich Merhbach, chef de notre convoi qui, condamné à mort, ne fut exécuté qu’en 1947…).

Il devint ensuite un camp pour « personnes déplacées ».

La partie représentant les installations SS, dont un camp pour l’entraînement d’une division Waffen SS, fut séparée du camp de concentration lui-même ; encore maintenant, il est impossible d’accéder au « Jourhaus » (entrée principale) venant de l’extérieur. A la demande de Madame Barbara Distel, un Oberkomissar de la police bavaroise vint nous chercher en car et nous amena à l’endroit même où nous « échouâmes » en avril 1945. La voie ferrée n’existe plus, mais nous avons pu constater qu’en fait nos wagons étaient arrivés à 250 mètres du « Jourhaus », là où nous tombâmes de ceux-ci pour nous précipiter sur des flaques d’eau que nous lapâmes comme des chiens (n’étions nous pas gratifiés par nos gardes de l’expression « merde de chien » ?). Un photographe de la police a pris des clichés de notre groupe nous recueillant à l’endroit même où nous étions entre la vie et la mort.

En conclusion, en entendant et en voyant à la télévision certains jeunes Français revendiquant « le droit » de pas faire « leur » service militaire, je me disais que « sans eux » ces morts anonymes de Nammering, venant de la Résistance pour le plus grand nombre et en tout état de cause parce qu’ils avaient refusé, par leur engagement, l’esclavage voulu par les nazis, nos jeunes compatriotes n’auraient peut-être eu aucune chance de se déclarer « sans nous ».

François Bertrand
Déporté Buchenwald matricule 139865
Septembre 2001

© Les Forums de l’Histoire – F. Bertrand – Éditions Héraclès, 2001

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