Lettre ouverte de Patrick Baudouin, président de la LDH, à l’attention des parlementaires
Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur,
Pour la LDH (Ligue des droits de l’Homme), le dialogue avec les parlementaires est un enjeu important.
Nombre de sujets semble aujourd’hui diviser, voire cliver, notre société, et nous le regrettons. Défenseurs et défenseuses des droits de l’Homme, nous considérons que le respect de l’Etat de droit, et notamment des conventions internationales qui protègent les droits fondamentaux, doit être la base de tout dialogue concernant l’organisation des pouvoirs publics.
C’est pourquoi je souhaite par la présente lettre attirer votre attention sur la question de l’utilisation de leurs armes par les forces de police au regard de ces textes fondamentaux.
Les forces de l’ordre doivent pouvoir disposer d’armes en cas de nécessité, cela ne suscite aucune question mais elles ne peuvent utiliser celles-ci que de façon exceptionnelle, conformément aux principes de nécessité et de proportionnalité, et dans un cadre juridique qui doit tout à la fois être clair pour la police et protecteur pour toutes et tous.
La loi n°2017-258 du 28 février 2017 a créé l’article L.435-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI) qui énumère un certain nombre de cas dans lesquels les forces de police sont habilitées à faire usage de leurs armes.
Cet article avait pour objet de rassurer les forces de police, mais l’actualité récente démontre que les policiers maîtrisent mal les hypothèses dans lesquelles ils sont habilités à faire usage de leur arme, et que l’article L.435-1 du CSI a plutôt ouvert la voie à des interprétations dangereuses, plaçant les policiers dans une incertitude juridique croissante qui amène même certains d’entre eux à réclamer une présomption de légitime défense. Ceci n’est pas acceptable. Nous pensons que le cadre juridique doit être clarifié, mais aussi que le contrôle et les formations adéquates doivent être améliorés.
C’est pourquoi en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et les avis ou rapports d’institutions de la République (CNCDH, Défenseure des droits ou Cour des comptes), la LDH a élaboré une note d’analyse que vous trouverez ci-joint comprenant un certain nombre de préconisations pouvant servir de base à une proposition de loi ou à des amendements lors de la prochaine loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur.
Je suis bien évidemment à votre disposition pour discuter de ces analyses et propositions.
Je vous prie de bien vouloir croire, Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur, en l’expression de ma haute considération.
Les préconisations :
En vue de restaurer la confiance des citoyennes et citoyens envers les forces de l’ordre et dans le souci de protéger les individus contre une utilisation non nécessaire ou disproportionnée de la force par la police, la LDH sollicite en conséquence les parlementaires pour :
1/ Déposer une proposition de loi pour supprimer l’article L.435-1 du code de la sécurité intérieure ;
2/ Déposer des amendements au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur ou déposer des propositions de loi pour :
- Suivre les recommandations institutionnelles issues de l’avis récent de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) pour rétablir la confiance entre la police et la population ;
- Améliorer la formation initiale et continue des forces de l’ordre, tant sur les conditions d’utilisation (technique) des armes que sur l’expérience de terrain ; ainsi qu’une formation théorique, sur les conditions d’emploi (formation juridique), avec des cas pratiques, en incluant une formation sociologique pour prendre conscience des biais de comportement, amenant à une escalade des tensions, ou pouvant aussi amener à cibler davantage certaines populations considérées comme la « clientèle » policière ;
- Exiger un renforcement du contrôle des armes et un suivi de leur usage par :
• Un contrôle par le Parlement de l’achat des armes afin d’en limiter le volume, notamment pour les armes les plus vulnérantes, et du choix de l’armement de dotation des policiers et des gendarmes ainsi qu’un contrôle de l’existence d’un test des armes lors de simulations de situations, par un organisme indépendant, qui devrait être impératif ;
• Un suivi obligatoire de l’emploi des armes, car les procédures judiciaires montrent que le report de l’usage d’une arme dans le fichier de traitement relatif au suivi de l’usage des armes (TSUA), n’est pas toujours effectué ou de façon lacunaire ;
• Un recensement obligatoire par le ministère de l’Intérieur de tout décès ou de toute atteinte à l’intégrité physique d’une personne (au moins en cas de mutilation ou d’infirmité permanente) par une personne dépositaire de l’autorité publique utilisant une arme, en singularisant le cas de l’arme à feu et en tenant compte des recommandations de l’étude sur le « monitoring des décès » par les forces de l’ordre.
3/ S’inspirer de la proposition de loi sénatoriale visant à rétablir la confiance entre les citoyens et les forces de l’ordre par le renforcement d’une autorité indépendante en charge de la déontologie des forces de sécurité pour débattre de la création d’une autorité indépendante de contrôle de l’activité des forces de l’ordre ;
4/ Poursuivre la réforme constitutionnelle initiée en vue de rendre le parquet indépendant par-rapport à l’exécutif.
Lire la note « Usages des armes : analyse et propositions »
Paris, le 20 juillet 2022