Tribune de Patrick Baudouin, président de la LDH et président d’honneur de la FIDH, et d’André Paccou, délégué régional de Corse de la LDH
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Condamnés pour complicité dans l’assassinat du préfet Claude Erignac, Pierre Alessandri et Alain Ferrandi sont emprisonnés depuis près de vingt-quatre ans. Ils sont éligibles à une libération conditionnelle depuis plus de cinq ans. Au printemps dernier, ils ont enfin été rapprochés à la prison de Borgo, près de Bastia. Ces rapprochements ne sont pas le fait de la simple application de la loi que les élus de toutes tendances confondues, en Corse et au niveau national n’ont eu de cesse de rappeler ces dernières années. Ils interviennent après plusieurs semaines d’émeutes à Ajaccio, Bastia, Corte et Porto-Vecchio suite à l’assassinat d’Yvan Colonna dans la prison d’Arles. Une fois de plus, l’histoire récente entre la République et la Corse ne semble pas servir à la compréhension du présent. Depuis les évènements d’Aléria en 1975, les relations entre les deux parties se sont inscrites dans des cycles de violence et de négociation au détriment d’un apaisement durable.
La situation des deux hommes semble à nouveau s’enliser. A ce jour, aucune perspective de libération conditionnelle ne se dessine. Peut-on un seul instant penser raisonnablement que leur rapprochement à la prison de Borgo puisse constituer la dernière étape de leur parcours judiciaire. Peut-on imaginer qu’ils finiront leur vie en prison avec pour seul sursis les visites de leurs proches au parloir ! Il est temps d’oser l’avenir pour Pierre Alessandri et Alain Ferrandi mais aussi pour la Corse. Le dialogue engagé entre la Corse et Paris ne pourra s’inscrire dans le temps que si et seulement si la justice cesse d’être confondue avec la loi du talion. Il suffit pour cela de respecter les règles pénitentiaires européennes auxquelles la France adhère, notamment celle qui « reconnaît que les détenus, condamnés ou non, retourneront un jour vivre dans la société libre et que la vie en prison doit être organisée de façon à tenir compte de ce fait. »
Nous n’oublions pas cette autre attente de justice à l’origine de la révolte de la jeunesse corse en ce début d’année : la vérité sur l’assassinat d’Yvan Colonna, toute la vérité, rien que la vérité. Un premier pas a été fait en ce sens avec la publication du rapport de l’inspection générale de la justice sur le fonctionnement à la maison centrale d’Arles et les responsabilités engagées suite à « l’agression » d’Yvan Colonna. De nombreuses questions demeurent toutefois en suspens, notamment sur l’importance donnée aux avis réservés et très réservés des autorités judiciaires antiterroristes relatifs à l’affectation et au transfert dans une autre prison, en quartier d’évaluation de la radicalisation (QER) de l’agresseur. En effet, selon les auteurs de ce rapport, ces avis sont allés outre la compétence de ces autorités, précisant qu’«une affectation en QER … aurait pourtant été utile dès 2019 » et donc antérieurement à l’agression.
Oui, il est temps d’en finir avec les malentendus qui depuis un demi-siècle alimentent des cycles de violence et de négociation non aboutie. Alors, le dialogue engagé se fondera sur une promesse première de la République, l’égalité devant la loi et en droits, permettant ainsi d’aborder dans des conditions apaisées la dimension politique de la question corse, et la place singulière de la Corse dans la République.