Communiqué commun Gisti et LDH
En 2005, Kamel Daoudi a été condamné à six ans d’emprisonnement pour association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste – infraction qui permet, sans avoir à caractériser un projet terroriste précis, de punir une personne avant qu’elle ne passe à l’acte – et à une peine complémentaire d’interdiction du territoire français (ITF) prononcée à titre définitif. Cette dernière ne vise que les personnes étrangères mais, précisément, Kamel Daoudi avait été déchu de sa nationalité française à l’ouverture de la procédure, avant d’être déclaré coupable.
L’interdiction du territoire n’a pu être exécutée, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) ayant jugé qu’il ne pouvait être renvoyé en Algérie où il serait exposé à des traitements inhumains et dégradants. Il a donc été assigné à résidence à sa sortie de prison, en 2008.
Voilà donc 15 ans que Kamel Daoudi, sur la base d’arrêtés ministériels sans cesse renouvelés, est soumis à un couvre-feu quotidien avec obligation de pointer au commissariat plusieurs fois par jour. Détenteur du sinistre record de plus vieil assigné à résidence de France, il se voit refuser le droit de mener une vie privée, familiale et professionnelle normale.
Une première demande visant à le relever de la peine d’interdiction du territoire français avait été rejetée en 2010. Les différentes actions introduites contre les arrêtés d’assignation à résidence successifs ont elles aussi échoué devant les juridictions administratives.
Saisie dernièrement d’une nouvelle demande de relèvement, la cour d’appel de Paris oppose un nouveau refus à Monsieur Daoudi sur la base d’une motivation pour le moins inquiétante. Dans son arrêt du 21 septembre 2022, la cour, en effet, ne se borne pas à invoquer sur la base d’indices très indirects « la persistance de contacts et de liens avec la mouvance islamiste radicale » – ce que l’intéressé conteste fermement. Elle invoque également, sur le même plan, « un discours véhément contre les institutions, policières, administratives et judiciaires » et les liens de Kamel Daoudi « avec la mouvance ultra gauche ».
Ainsi, la cour consacre une partie entière de sa décision à ces liens en listant les activités militantes de l’intéressé : son « engagement affiché notamment sur les réseaux sociaux et autres chaines sur internet, aux côtés des représentants de cette mouvance », sa fréquentation à Aurillac – commune où il est actuellement assigné – d’un café « tenu par la mouvance antisystème » [sic], la publication d’un livre « avec une promotion auprès des librairies anarchistes », la signature de la pétition de soutien à « Nantes Révoltée », « structure visée par une procédure de dissolution (non aboutie) » [et en réalité jamais initiée], ses « nombreux Tweets véhéments contre les autorités administratives et judiciaires », etc.
L’arrêt se conclut en ces termes : « sans que les libertés d’opinion et d’expression de Kamel Daoudi, dont il use en intensité, ne soient remises en cause, ces liens et son militantisme avec une communauté active et radicale contestant le “système”, soit le fonctionnement et les valeurs de la République, avec encouragement à des actions violentes, ne peuvent pas ne pas être rapprochés de la nature des faits objets de la condamnation de 2005 ».
En tirant argument de ses « liens avec la mouvance d’ultra gauche » pour conclure que « la dangerosité de Kamel Daoudi demeure actuelle », la cour, tout en rendant formellement hommage à la liberté d’expression, acte en réalité la résurgence du délit d’opinion. Pire encore, elle entérine un amalgame inacceptable entre des activités militantes et des actes à caractère terroriste.
Cet amalgame doit être fermement dénoncé, a fortiori lorsqu’il émane de juges dont la mission est de dire le droit et non de renchérir sur les fantasmes d’une partie de la classe politique.
Signataires : Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s), LDH (Ligue des droits de l’Homme)
Paris, le 27 octobre 2022