Pétition-tribune signée par la LDH et publiée dans Le Monde
Jeudi 8 décembre 2022 à l’aube, un jeune Iranien de 23 ans, Mohsen Shekari, est exécuté à Téhéran. Il a été arrêté le 25 septembre lors des manifestations contre le régime qui embrasent l’Iran depuis la mort de Mahsa Jina Amini. Huit semaines plus tard, il est condamné à mort au motif de « guerre contre Dieu » (moharebeh) et pendu. Sa famille voulait faire appel de sa sentence.
Les images diffusées par les télévisions iraniennes de son procès, tenu sans avocat à huis clos, montrent son regard stupéfait qui crie l’injustice, et qui ne nous quittera plus. Ce regard, qui nous prend à témoin du cauchemar, est aussi celui de Majidreza Rahnavard, exécuté à Mashad le 12 décembre, et de Mahan Sadrat Madani désormais en instance d’exécution, ainsi que onze autres manifestants condamnés à mort par le tribunal révolutionnaire, dont l’artiste et comédien de théâtre Hossein Mohammadi.
Cette instance, illégale selon les lois mêmes de la République islamique, comme le rappelle l’avocate Nasrin Sotoudeh, opère selon une procédure et des charges (« guerre contre Dieu », « corruption sur la terre ») qui sont une insulte à l’humanité. Les avocats qui s’y sont présentés pour défendre les manifestants ont été arrêtés et détenus au secret. Les avocats commis d’office se font le relais des violences et instructions à charge du tribunal.
L’Etat iranien contre sa propre population
Cinquante-cinq manifestants et manifestantes, dont trois mineurs, sont jugés et encourent en ce moment même la peine de mort. Parmi elles et eux, le rappeur Toumaj Salehi, figure de résistance et d’engagement, mais aussi Hamid Ghareh-Hassanlou, un médecin accusé de la mort d’un milicien auquel il portait secours. Face à cette nouvelle terreur, dans les rues comme en ligne, les Iraniennes ne baissent pas la tête, mais s’unissent dans un slogan : « Derrière chacun de nous qui meurt, battent mille autres cœurs »
Le président iranien, Ebrahim Raïssi, et plusieurs figures du régime ont félicité les autorités judiciaires pour leur diligence. Le spectacle effroyable de ces mises à mort amorce un tournant dans la répression. Le peuple iranien a investi la rue pour demander un changement de régime, et refuse de la quitter depuis trois mois.
Face à ce mouvement révolutionnaire inédit, l’Etat iranien s’est engagé dans une guerre contre sa propre population (des villes du Kurdistan sont littéralement en état de siège). Il apporte aussi son soutien dans d’autres guerres meurtrières comme le montre l’usage par les Russes des drones iraniens dans la destruction de la vie civile en Ukraine.
Le président actuel Raïssi reconnu « criminel de guerre »
Acculée, la République islamique réactive la politique de la mort par laquelle elle s’était instituée dans les années 1980, en torturant et en exécutant des milliers d’opposants. Le président actuel, Ebrahim Raïssi, qui était juge révolutionnaire lors des massacres de prisonniers politiques en 1988, a d’ailleurs été reconnu « criminel de guerre » par le tribunal de grande instance de Stockholm en juin 2022.
Le tournant terrible amorcé aujourd’hui avec l’exécution des manifestants est un test, pour la société iranienne comme pour la communauté internationale : s’il se trouve conforté dans son impunité, s’il voit que sa terreur fonctionne, alors nul doute que l’Etat iranien aura trouvé sa voie de sortie et va exécuter plus encore.
Notre silence va-t-il laisser le peuple iranien revivre les heures les plus sombres de son histoire, lorsque les listes de dizaines d’exécutés défilaient au générique des informations tous les soirs, et que les prisonniers étaient massacrés au secret ? Les révoltes en cours l’ont montré : l’effroi ne nourrit pas forcément la paralysie ; l’injustice et l’outrage peuvent alimenter la juste colère du soulèvement. Il nous faut souffler sur ces flammes qui sont les seules à même de détruire les prisons et les potences iraniennes.
Réduire au strict minimum ses relations avec l’Iran
Ce qui se joue en Iran dépasse les frontières : cela concerne le monde entier et peut contribuer à ouvrir un nouvel âge de la liberté. Le président Emmanuel Macron a reçu quatre dissidentes iraniennes et a manifesté son soutien entier et clair au mouvement révolutionnaire amorcé dans ce pays. Nous demandons qu’il agisse en cohérence avec cet engagement d’humanité, de justice et de liberté, qui fondent les valeurs du peuple qui l’a élu.
Nous demandons au président Emmanuel Macron d’exiger avec la plus grande fermeté l’arrêt immédiat des exécutions et la libération de tous les prisonniers politiques en Iran. Nous demandons que la France réduise au strict minimum ses relations diplomatiques avec la République islamique d’Iran, et envoie un message fort de soutien au peuple iranien en rappelant son ambassadeur.
Nous demandons au président d’agir pour empêcher le régime iranien d’avoir accès, malgré un embargo général, à des ressources économiques grâce à la vente de son pétrole de manière détournée, et pour l’empêcher d’acheter, malgré un embargo général, du matériel de surveillance et des armes vendues par les entreprises occidentales pour mener une guerre à sa propre population.
L’heure est à la clarté, il est temps de prouver la puissance des valeurs de liberté et d’égalité. C’est cette exigence et cette solidarité qui a été portée sur scène le 12 décembre, lors du concert organisé par le collectif Barayé en soutien au peuple iranien et à son cri qui remue le monde : Femme, vie, liberté !
Premiers signataires : AaRON, chanteurs ; Abd Al Malik, auteur-compositeur-interprète ; Nicole Abravanel, historienne, EHESS ; Laure Adler, écrivaine ; Lynn Adib, chanteuse ; Michel Agier, anthropologue EHESS ; Catherine Alès, ethnologue CNRS ; Christophe Alévêque, humoriste ; Sirine Alkonost, traductrice, blog Voix d’Iran ; Sandrine Anglade, metteuse en scène ; Ariane Ascaride, comédienne ; Roya Arab, chanteuse ; Saïd Assadi, Le 360 Paris Music Factory ; Cyril Atef, musicien ; Arshid Azarine, musicien ; Bahareh Azimi, scénariste ; Bita Azimi, architecte et chercheuse ; Adeline Baldacchino, écrivaine ; Etienne Balibar, philosophe ; Yahia Belaskri, écrivain ; Wladimir Berelowitch, historien EHESS ; Florent Berteau, musicien ; Jane Birkin, chanteuse ; Cécile Boëx, politologue EHESS ; Ladan Boroumand, Boroumand Foundation ; Laurence Boulègue, professeure des universités, journée nationale universitaire « Liberté, Solidarité Iran » ; Claude Calame, anthropologue, EHESS ; Cléo Carastro, anthropologue EHESS ; Isabelle Carré, comédienne ; Frank Cassenti, cinéaste, président du festival de jazz de Porquerolles ; Barbara Cassin, philosophe, Académie française ; Yves Cohen, historien, EHESS ; Pierre-Antoine Chardel, sociologue et philosophe ; Keyvan Chemirani, musicien ; Isabelle Coutant, sociologue CNRS ; CharlElie Couture, chanteur ; Anne-Claire Defossez, sociologue ; Sahar Dehghan, danseuse ; Philippe Delerm, écrivain ; Lynda Dematteo, anthropologue ; Monique de Saint Martin, sociologue ; Giuseppe De Vecchi, réalisateur ; Silvia D’Intino, CNRS ; Arache Djannati-Ataï, astrophysicien CNRS ; Behi Djanati Ataï, Actrice et Autrice ; Javad Djavahery, écrivain ; Albina Du Boisrouvray, fondation FXB ; Sepideh Farsi, cinéaste ; Didier Fassin, anthropologue, Collège de France ; Gaël Faye, auteur-compositeur ; Fellag, humoriste ; Marie-Aude Fouéré, anthropologue EHESS ; Daniel Friedmann, sociologue et cinéaste ; Jacques Gamblin, comédien et auteur ; Laurent Gaudé, écrivain, Prix Goncourt ; Fabio Giomi, historien CNRS ; Estelle Girard, ingénieure EHESS ; Catherine Gousseff, Historienne, CNRS ; Emmanuelle Gravejat, ingénieure EHESS ; Séverine Guiton, éditrice ; Amir Habibi, photographe ; Arthur H, chanteur ; Benoît Hachet, sociologue EHESS ; Hubert Haddad, écrivain ; Lucile Hadzihalilovic, cinéaste ; Robert Harvey, philosophe ; Imany, chanteuse ; Jeremix, Mix ta Race ; Javan, cinéaste ; Jul, auteur, dessinateur ; Karim Kadjar, comédien ; Mina Kavani, comédienne ; Maryam Khakipour, cinéaste ; Shabnam Khosravi, ingénieure, cousine de Toumaj Salehi ; Christiane Klapisch-Zuber, historienne ; Anouche Kunth, historienne CNRS ; Arnaud Labory, communicant, agence La Bande ; Marie Ladier-Fouladi, CNRS ; Rose-Marie Lagrave, sociologue CNRS ; Nicole Lapierre, écrivaine et sociologue ; Camille Laurens, écrivaine, Académie Goncourt ; Éric Laurrent, écrivain ; Stéphanie Latte Abdallah, politiste et anthropologue, CNRS ; Denis Lavant, comédien ; Jacques Leenhardt, directeur d’études à l’EHESS ; Philippe Lemoine, essayiste ; Laure Leroy, éditrice, Zulma ; Salud López, chorégraphe ; Mathieu Madénian, humoriste ; Jean-Daniel Magnin, auteur et metteur en scène ; Alain Mahé, Anthropologue, EHESS ; Chowra Makaremi, anthropologue, CNRS ; Jérôme Malois, ingénieur EHESS ; Souad Massi, chanteuse ; Hind Meddeb, cinéaste ; Hura Mirshekari, plasticienne et chanteuse ; Morad Montazami, curateur et éditeur, Zaman books ; Yassaman Montazami, psychologue et auteure ; Ariane Mnouchkine, metteuse en scène et directrice du Théâtre du Soleil ; François Morel, comédien et chanteur ; Francine Muel-Dreyfus, sociologue EHESS ; Christine Murillo, comédienne ; Abel Nahmias, Le Trianon ; Yael Naim, chanteuse ; Aida Nosrat, chanteuse ; Caty Olive, scénographe lumières ; Albert Ogien, sociologue, CNRS ; Daniel Pennac, écrivain ; Michel Picard, anthropologue CNRS ; Sylvain Piot, monteur et réalisateur ; Christophe Prochasson, historien, EHESS ; Zahia Rahmani, historienne de l’art, INHA ; Jacques Revel, historien ; Reza, photographe ; Jean-Michel Ribes, auteur et directeur du Théâtre du Rond-Point ; Christelle Rabier, historienne des sciences ; Olivia Rivet, musicienne ; Sahand Saber, avocat au barreau de Paris ; Nùria Rovira Salat, danseuse ; Arnaud Saint-Martin, sociologue CNRS ; Marjane Satrapi, auteure et cinéaste ; Jean-Frédéric Schaub, historien EHESS ; Régis Schlagdenhauffen, historien EHESS ; Syrus Shahidi, comédien ; Anne Simon, directrice de recherche CNRS ; Camille Schmoll, géographe, EHESS ; Dominique Schnapper, sociologue ; Carlo Severi, anthropologue EHESS ; Aïda Tavakoli, Architecte, Co-fondatrice de We Are Iranian Students ; T.I.E., chanteuse ; Isabelle Thireau, sociologue CNRS ; Azadeh Thiriez-Arjangi, Philosophe ; Joëlle Vailly, sociologue, CNRS ; Sophie Wahnich, historienne CNRS, Sciences Po ; José Willian Morais Antunes de Sousa, poète et géographe ; Claudine Vidal, sociologue CNRS ; Sabine Wespieser, éditrice ; Eric Wittersheim, anthropologue EHESS, Patrick Baudouin, président de la LDH, Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH.