Communiqué commun LDH et FIDH
Dans deux arrêts rendus aujourd’hui dans les affaires Nema et Chaban, la Cour de cassation a confirmé la compétence des juridictions françaises pour connaître de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et tortures commis en Syrie. Ces décisions, très attendues par les victimes syriennes mais également par de nombreuses autres victimes de crimes internationaux, consacrent une interprétation non restrictive des conditions d’application de la loi sur la compétence universelle et permettent d’envisager la poursuite des procédures en cours sur ce fondement.
« Ces décisions constituent un grand soulagement pour les parties civiles » déclare Maître Clémence Bectarte, avocate de la FIDH et des parties civiles. « Les informations judiciaires en cours vont pouvoir se poursuivre. Cela ne doit toutefois pas faire oublier les insuffisances de cette loi sur la compétence universelle. L’existence même d’un débat juridique sur ses conditions d’application crée une insécurité juridique pour les victimes. La seule issue est de changer la loi et de supprimer les verrous ».
Dans les deux arrêts rendus aujourd’hui, la Cour de cassation a suivi en tous points l’argumentaire développé par nos organisations, parties civiles. Elle a estimé que la condition de double incrimination exigée par la loi française de compétence universelle est remplie à partir du moment où la législation étrangère punit les actes visés, peu importe la qualification sous laquelle ils sont incriminés.
« Ces décisions sont porteuses d’espoir pour les victimes syriennes et plus généralement pour les victimes de crimes internationaux qui se sont tournées vers la justice française. Il est intéressant de voir les deux suspects utiliser les mêmes allégations pour contester la compétence des tribunaux français à l’égard des accusations portées contre eux, malgré le fait qu’ils appartiennent à deux parties censées avoir été dans des camps opposés pendant le conflit syrien, à savoir l’appareil de sécurité de l’État et Jaysh al-Islam » a déclaré Mazen Darwish, secrétaire général de la FIDH et Directeur de SCM, partie civile à la procédure.
Dans l’affaire Nema, la Cour de cassation a considéré, sur la condition de résidence habituelle, qu’il s’agissait d’une condition de fait soumise à l’appréciation des juges du fond, tout en précisant un faisceau d’indices permettant de démontrer un lien de rattachement suffisant entre la France et la personne poursuivie.
S’agissant des actes de torture, la Cour de cassation a pris acte de l’évolution du droit international en la matière et a confirmé que ces actes pouvaient bien être imputés à des personnes agissant pour le compte ou au nom d’un groupe non-étatique lorsque celui-ci exerce une autorité quasi gouvernementale.
« Nous attendons désormais des actes forts du gouvernement et du législateur, afin d’établir une prise de position ferme de la France permettant de donner les moyens à la justice française de lutter contre l’impunité » a déclaré Patrick Baudouin, président de la LDH et président d’honneur de la FIDH.
Une victoire décisive pour toutes les victimes de crimes internationaux
Abdulhamid Chaban, ancien membre des services de sécurité syriens, a été mis en examen en février 2019 pour crimes contre l’humanité. Il avait saisi la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris en août 2019, alléguant l’incompétence des juridictions françaises en se fondant sur la loi de compétence universelle du 9 août 2010, puis avait formé un pourvoi contre l’arrêt confirmant la compétence des juridictions françaises.
Le 24 novembre 2021, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait rendu un arrêt consacrant une interprétation restrictive du critère de double incrimination prévu par l’article 689-11 du code de procédure pénale, et ainsi conclu à l’incompétence du juge français s’agissant de crimes commis en Syrie, au motif que l’Etat syrien n’a pas incriminé les crimes contre l’humanité dans sa législation interne. La FIDH a fait opposition à cette décision en raison d’une irrégularité de procédure.
Par ailleurs, Majdi Nema, ancien porte-parole du groupe armé syrien Jaysh Al Islam avait été mis en examen en janvier 2020 pour complicité de disparitions forcées, crimes de guerre, torture et complicité de ces crimes. Il avait alors soulevé l’incompétence des juridictions françaises pour connaître des faits qui lui étaient imputés. Après une audience devant la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris qui avait rejeté ses demandes, celui-ci s’était pourvu en cassation.
La loi du 9 août 2010, légèrement amendée par le législateur en 2019, prévoit quatre verrous à l’exercice de la compétence universelle en France : outre la résidence habituelle du suspect et la double incrimination, la loi prévoit en outre le monopole des poursuites du parquet, privant les victimes de la possibilité d’enclencher l’action publique, ainsi que l’obligation donnée au parquet de vérifier, avant l’ouverture d’une enquête, si une autre juridiction nationale ou internationale s’est déclarée compétente.
Paris, le 12 mai 2023