Lettre ouverte de Patrick Baudouin, président de la LDH, à l’attention de Florent Boudié, rapporteur de la Commission d’enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements
Paris, le 21 juillet 2023
Monsieur le rapporteur de la Commission d’enquête,
Dans le cadre de la Commission d’enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements, vous avez cité la LDH (Ligue des droits de l’Homme) lors d’une question posée à M. Didier Lallement, ancien préfet de police.
Selon vos propos, la LDH proposerait « la création d’un statut d’observateur identifiable, identifié dans le champ des manifestations, le statut d’observateur ayant vocation alors, du point de vue la Ligue des droits de l’Homme, de regarder d’abord le comportement des forces de l’ordre ».
Je crains qu’il n’y ait une méprise car ce n’est pas ce que Mme Tehio, mandatée par la LDH pour être auditionnée devant la Commission d’enquête, a soutenu devant vous.
Elle a précisé que le droit international imposait aux Etats de protéger les observateurs indépendants et que l’observation n°37 du comité des droits de l’Homme de l’ONU[1] détaillait notamment certaines obligations de l’Etat, concernant le droit des observateurs à porter du matériel de protection, à se déplacer sur la manifestation pour les besoins de leur mission et à rester après des ordres de dispersion.
Le Conseil d’Etat a jugé, par arrêt du 10 juin 2021[2], que les observateurs indépendants devaient être traités à l’instar des journalistes.
La mission des observateurs consiste à participer à la protection du droit de « réunion pacifique » en documentant les actions de maintien de l’ordre. L’Etat français, partie au Pacte international des droits civils et politiques, ainsi qu’à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ou à l’OSCE, a l’obligation positive de protéger la liberté de réunion pacifique, donc les observateurs.
C’est la raison pour laquelle seules les forces de l’ordre sont soumises à l’observation citoyenne, même s’il faut évidemment documenter le contexte et donc les actions des manifestants pour apprécier la nécessité et la proportionnalité de l’emploi de la force.
Si des personnes commettent des violences à l’égard des forces de l’ordre, il revient à ces dernières de mener l’enquête et d’apporter la preuve de ces infractions, éventuellement en justice. Ce n’est pas le travail de simples citoyens.
Rappelons que le droit international impose l’indépendance des observateurs à l’égard de l’Etat.
En conséquence, l’Etat ne peut pas exiger de connaître le nom des observateurs, ni leur faire passer un quelconque examen, ni contrôler leur action : la mission d’observateur peut être exercée par toute personne et pas nécessairement au sein d’une quelconque organisation et, en tout état de cause, sans aucun contrôle de l’Etat, puisqu’il doit être indépendant, en application du droit international.
Pour faciliter la revendication de cette qualité, il est préférable d’être en neutralité comportementale lors de la manifestation (ne pas manifester, ne pas entraver l’action des forces de l’ordre) et d’être identifiable par une tenue appropriée, pour que les forces de l’ordre puissent visualiser aisément quelles personnes sont observatrices. C’est ce que la LDH exige de ses membres.
Autrement dit, la LDH ne revendique pas un statut d’observateur encadré par l’Etat, car ce serait contraire au droit international, mais demande à ce que la France respecte ses engagements internationaux en imposant aux forces de l’ordre de protéger les observateurs.
Or, ces derniers temps, des observateurs ont été entravés, intimidés ou agressés par des forces de l’ordre, à Bordeaux, Paris, Rennes et Toulouse. Voici le lien vers un article explicatif : Observer l’action de maintien de l’ordre est un droit | Le Club (mediapart.fr)[3]
Nous prions en conséquence les députés et vous-même qui vous êtes dit favorable à ce qu’il y ait des observateurs sur les manifestations de bien vouloir exiger le respect du droit international par les forces de l’ordre et à le rappeler au ministre de l’Intérieur.
Les auditions de la Commission d’enquête étant filmées, vous comprendrez que nous rendions cette lettre publique.
Veuillez croire, Monsieur le rapporteur de la commission d’enquête, en l’expression de ma haute considération,
Patrick Baudouin, président de la LDH