Communiqué commun LDH et Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains
Ariane Lavrilleux, journaliste du média d’investigation Disclose, a été placée pendant 39 heures en garde à vue par les services secrets français. Le but ? Identifier ses sources dans l’affaire des « Mémos de la terreur ». Ce placement en garde à vue, ordonné en représailles de son travail légitime de journaliste, est indigne d’un État de droit. Comme tou-te-s les journalistes d’investigation, Ariane Lavrilleux joue un rôle indispensable dans la garantie de la liberté d’information et dans la divulgation d’informations d’intérêt public : toutes les intimidations à son encontre doivent cesser !
Paris-Genève, 22 septembre 2023. Arrêter une journaliste pour n’avoir fait que son travail est une pratique qui va à l’encontre du respect de la liberté de la presse, ainsi que de la liberté d’information dans une société démocratique. Pourtant, le 19 septembre 2023, le domicile de la journaliste d’investigation Ariane Lavrilleux a été perquisitionné par des agents de la Direction générale de la sécurité intérieure française (DGSI). La journaliste a ensuite été placée en garde à vue dans le cadre d’une enquête pour « compromission du secret de la défense nationale » et « révélation d’informations pouvant conduire à identifier un agent protégé », ouverte en juillet 2022, sur la base d’une plainte déposée par le Ministère des Armées. Cette plainte fait suite à la publication par le média d’investigation indépendant français Disclose, en novembre 2021, de la série d’enquêtes « Les mémos de la terreur », co-signée par Ariane Lavrilleux, et révélant la complicité de la France dans une série d’exécutions arbitraires orchestrée par le gouvernement égyptien entre 2016 et 2018. Ariane Lavrilleux a été libérée le 20 septembre 2023, après 39 heures en garde à vue, et l’enquête se poursuit.
« Le travail des journalistes révélant des violations des droits humains est indispensable au fonctionnement d’une démocratie saine, la liberté d’information ne se négocie pas. Nous sommes effarés par l’arrestation d’Anne Lavrilleux. C’est un véritable scandale d’État. Nous exigeons que ce harcèlement judiciaire cesse et attendons des excuses de la part de l’exécutif, » a réagi Gerald Staberock, Secrétaire général de l’OMCT.
Parmi les révélations des « Mémos de la terreur », les journalistes ont mis au jour l’existence de l’Opération Sirli, opération « antiterroriste » des renseignements français, utilisée et détournée par les autorités égyptiennes, qui ont exécuté en dehors de tout cadre juridique ce qui semble être des trafiquants d’armes, de drogue ou de migrants à la frontière libyenne. Des journalistes ont prouvé que les autorités françaises avaient connaissance que leurs informations servaient à commettre ces crimes extra-judiciaires. Aucune mesure n’a pourtant été prise, notamment pour ne pas compromettre les accords de vente d’armes conclus avec l’Égypte.
« Le travail de journaliste lanceur d’alerte doit être protégé par les autorités, pas réprimé, » a déclaré Antoine Madelin, directeur du plaidoyer de la FIDH. « Ariane Lavrilleux a mis en lumière la manière avec laquelle la France s’est rendue complice de violations des droits humains, ouvrant la voie à l’établissement des responsabilités pour ces crimes. Plutôt que d’intimider des journalistes, les enquêteurs feraient mieux de chercher à savoir pourquoi et comment la France a failli à ses obligations internationales et à mettre en place une stratégie efficace de poursuite des auteurs des violations. »
« Le placement en garde à vue d’Ariane Lavrilleux, après une surveillance de plusieurs mois, constitue une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et au secret des sources, tels que consacrés par le droit français. Il est intolérable de la voir traitée comme une délinquante alors qu’elle n’a fait que révéler des informations d’intérêt public dans le cadre de son travail. Il est primordial qu’aucune charge ne soit retenue contre elle et par ailleurs, de telles mesures d’intimidation contre les journalistes doivent cesser », a déclaré Me Patrick Baudouin, président de la LDH et président d’honneur de la FIDH.
L’arrestation d’Ariane Lavrilleux a suscité des réactions également au niveau européen, où un nouvel acte législatif visant à harmoniser et renforcer la protection offerte aux journalistes dans toute l’Union européenne (UE) est en train d’être négocié à Bruxelles. Dans le cadre des négociations, la France a plaidé en faveur d’une exception qui permettrait d’enquêter sur les journalistes au nom de la sécurité nationale. Des telles exceptions, que d’autres États européens soutiennent, sont dangereuses en raison des risques qu’elles posent pour la protection de la liberté de la presse et du droit à défendre les droits humains en Europe. La Commissaire aux Valeurs et à la Transparence de l’UE Vera Jourova a commenté en rappelant l’importance de concilier le besoin de sauvegarder la sécurité nationale avec le respect des droits fondamentaux.