Tribune de Pierre Tartakowsky, président d’honneur de la LDH
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La particularité de l’antisémitisme, produit de sa longue histoire, de ses formes diverses et de l’ampleur des crimes qu’il a suscités, doit être reconnue. Mais toutes les haines partagent le même rejet de l’autre.
La haine procède par capillarité. Il faut construire un antiracisme porteur qui combatte avec la même force chaque racisme.
La réponse est évidente, ou devrait l’être : oui, bien entendu. L’évidence en est administrée par les racistes eux-mêmes, lesquels ne bornent pas leurs détestations. Le rapport annuel de la CNCDH sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie le confirme d’édition en édition : ceux qui détestent les Noirs et les Arabes n’aiment pas les juifs, ceux qui n’aiment pas les juifs rejettent les homosexuels, ceux qui rejettent les homosexuels méprisent les femmes… La haine procède par capillarité. Le racisme, comme l’antisémitisme, vise à dénier à une collectivité ou à des individus la reconnaissance de la dignité et l’accès à l’égalité des droits. Tous deux nient l’existence d’une humanité commune. La riposte ne peut se concevoir qu’autour de l’universalité des droits, d’un refus de toute hiérarchisation des personnes, des communautés, des solidarités. La question est donc moins de savoir s’il « faut » lier la lutte contre l’antisémitisme et celle contre le racisme que de savoir construire un engagement antiraciste porteur, avec la même conviction et la même force, du constat que chaque racisme est, en fonction de son histoire, de ses obsessions, de ses cibles, un phénomène singulier et du postulat que les « hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Cela implique d’identifier les ressorts de chaque forme de racisme, leurs racines et leurs combinaisons et d’affirmer qu’il ne peut y avoir ni hiérarchie, ni concurrence des souffrances et de leurs mémoires.
Ce « en même temps », lui, n’a rien d’évident. Ces dernières décennies, les idéologies prônant l’inégalité des races se sont reconverties en croisades culturelles et « laïques », jouant du spectre du « choc des civilisations » et des « séparatismes ». Elles se sont nichées au coeur du dispositif politique français, parvenant à imposer une forme de légitimation du discours raciste dans la sphère médiatique, étatique et politique. Elles ont nourri la peur, la haine et le soupçon. Le bilan est terrible : les juifs constatent qu’il est redevenu possible de tuer un homme, une femme ou un enfant parce que juif. Les femmes et les hommes de foi musulmane ressentent au quotidien propos et comportements stigmatisants, quand ils ne sont pas victimes d’actes plus graves, parfois mortels. Les uns et les autres se sentent mal aimés des pouvoirs publics et nourrissent en permanence le soupçon d’un traitement inégal.
Cette mise en concurrence brouille activement, au détriment de toutes et tous, l’idée que l’humanité est une. Penser pouvoir la défendre avec ses diversités, ses composantes, ses histoires tout en ignorant les maux dont l’Autre est victime n’est que pure chimère ; imaginer pouvoir en tirer profit est tentant mais, à terme, suicidaire. Accepter que cet Autre, toujours différent, ne soit qu’une facette de soi est une construction difficile mais incontournable. Cela s’appelle aussi fraternité.
Pierre Tartakowsky, président d’honneur de la LDH