Lettre commune signée par la LDH
Nous, les organisations de la société civile soussignées, exprimons notre inquiétude concernant les restrictions du droit de réunion pacifique en Espagne et appelons les autorités à protéger les libertés fondamentales. Les récents incidents restrictifs contre des activistes catalans les accusant de terrorisme mettent en péril les engagements du pays envers les normes internationales en matière de droits de l’Homme et le droit de l’Union européenne.
En novembre 2023, après quatre ans d’enquête judiciaire menée dans le plus grand secret, l’Audience nationale espagnole a annoncé que 12 personnes faisaient l’objet d’une enquête pour terrorisme en raison de leur participation présumée aux activités du mouvement démocratique Tsunami. Les actions considérées comme du « terrorisme » sont liées à la mobilisation et aux manifestations des citoyens en 2019 dans des zones telles que l’aéroport de Barcelone-Prat et La Jonquera en Catalogne, ces dernières étant inspirées par les manifestations de Hong Kong pour la démocratie en 2019-2020. Des personnes ont protesté contre la condamnation par la Cour suprême espagnole des dirigeants indépendantistes catalans à des peines de prison allant de neuf à treize ans pour des actions organisées liées à l’indépendance de la Catalogne entre septembre et octobre 2017.
Le groupe de travail des Nations unies sur les détentions arbitraires et le Conseil de l’Europe avaient déjà demandé la libération des dirigeants, et de nombreuses organisations espagnoles et internationales de défense des droits de l’Homme avaient exprimé leur inquiétude quant à leur emprisonnement et à la peine prononcée, comme Amnesty International, Front Line Defenders et l’Organisation mondiale contre la torture. Les observateurs internationaux du procès ont signalé ce qu’ils considèrent comme un certain nombre d’irrégularités dans la procédure qui conduisent à des soupçons de politisation du procès.
La liberté de réunion, y compris le droit d’organiser des manifestations pacifiques, est reconnue et protégée par le droit international, européen et national. Selon le droit international, les rassemblements pacifiques peuvent, dans certains cas, être intrinsèquement ou délibérément perturbateurs et requièrent un degré important de tolérance. Par conséquent, les campagnes collectives de désobéissance civile non violentes et d’action directe sont couvertes par la liberté de réunion. Les récentes accusations et enquêtes ne contreviennent pas seulement à ces normes internationales en matière de droits de l’Homme, mais elles ont également un effet dissuasif sur l’engagement civique. En outre, au cours de la dernière décennie, dans la plupart des pays européens, la législation antiterroriste a été modifiée pour élargir la définition du terrorisme, y compris les expressions légales de dissidence, telles que les manifestations non violentes.
L’utilisation abusive de l’accusation de terrorisme est injustifiable, car elle se fonde sur un cadre d’exceptionnalisme pénal, qui est contraire aux principes établis dans l’État de droit.
Ces enquêtes ne sont pas des incidents isolés mais s’inscrivent dans une tendance plus large de restriction du droit de réunion pacifique et du droit de manifester. Ces dernières années, l’Espagne et plusieurs autres pays européens, comme la France, le Royaume-Uni et l’Italie, ont adopté des lois restreignant le droit de réunion pacifique et durcissant les sanctions liées aux rassemblements. Plusieurs organisations de défense des droits de l’homme et institutions internationales, dont l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, le Conseil de l’Europe et l’OSCE, se sont inquiétées de l’évolution de la situation en Europe en ce qui concerne le rétrécissement de l’espace civique. Le rapport 2023 du CIVICUS Monitor, qui évalue l’état de l’espace civique dans le monde, indique que les notes globales des pays de la région se sont dégradées. Selon le rapport, l’intimidation, la détention de manifestants et la perturbation des manifestations figurent parmi les cinq principales violations en Europe. En outre, les personnes qui expriment leur droit fondamental de réunion sont confrontées à des violations telles que des lois restrictives, des violences policières, des détentions préventives, des peines plus sévères et une surveillance accrue.
Le droit de réunion pacifique est une pierre angulaire des sociétés démocratiques, inscrit dans le droit national, européen et international. Il s’agit d’un droit fondamental qui permet aux citoyens d’exprimer leurs opinions et de participer au débat public sans craindre la répression. C’est pourquoi la décision prise par la Cour espagnole de renvoyer 12 personnes en procès pour terrorisme en raison de leur participation présumée au mouvement Tsunami ne porte pas seulement atteinte aux droits de l’Homme internationaux et aux normes démocratiques que nous défendons collectivement, mais a également un effet dissuasif sur l’engagement civique, réduisant au silence la diversité vibrante des voix qui constituent le fondement d’une société fondée sur les droits. En solidarité avec les Catalans accusés, nous demandons l’abandon immédiat des accusations de terrorisme. Les autorités publiques ont le devoir de protéger et de faciliter les droits fondamentaux, et non de les étouffer.
Le 27 février 2024
Initié par :
European Civic Forum (ECF)
Signé par :
Alternative Informatics Association / Alternatif Bilişim, Turkey (AiA), Amnesty International, Arci – Italy, Aspiration, CIVICUS – World, Alliance for Citizen Participation, Civil Society Advocates, Civil society initative Glas ljudstva, European Democratic Lawyers / Avocat.es, Européen.nes Démocrates (AED), European House Budapest, European Language Equality Network (ELEN), European Sex Workers Rights Alliance, Headquarters of the movement (HOTM), LDH (Ligue des droits de l’Homme), Network for Police Monitoring (Netpol), No Somos Delito, PIC – Legal Center for the Protection of Human Rights and the Environment, Statewatch, The Irish Council for Civil Liberties, Unrepresented Nations and Peoples Organisation, World Organisation Against Torture (OMCT)