Lettre ouverte commune dont la LDH est signataire, adressée aux députés européens
Malgré les avertissements de plus de 50 organisations de la société civile, les législateurs européens sont parvenus en décembre à un accord politique sur le nouveau pacte européen sur l’immigration. Cet accord s’inscrit dans la continuité d’une décennie de politiques qui ont conduit à la prolifération des violations des droits en Europe. De plus, ce pacte aura des conséquences dévastatrices sur le droit à la protection internationale dans l’Union européenne et permettra des abus dans toute l’Europe, y compris le racial profiling, la détention de facto par défaut et les refoulements. La semaine prochaine, les députés européens auront une dernière opportunité de rejeter les dossiers lors d’un vote en plénière et de donner un signal politique contre l’adoption d’un pacte qui porterait atteinte aux droits fondamentaux.
Dans l’ensemble, les règlements introduiront un nouveau système de « gestion des migrations » dans l’UE, caractérisé par :
- La détention de facto aux frontières sans aucune exemption pour des familles avec enfants de toutes âges, des procédures accélérées et inférieures aux normes pour évaluer les demandes d’asile plutôt que des évaluations complètes et équitables, et l’accent mis sur les procédures de retour avec des garanties réduites.
- Un nombre bien plus important de demandeurs d’asile se retrouveront dans des procédures frontalières et, en raison de la « legal fiction of non-entry », ne seront pas considérés comme se trouvant sur le territoire de l’UE, ce qui entraînerait une diminution des garanties de protection et augmenterait le risque de violations des droits de l’Homme et de refoulements aux frontières. Même les enfants non accompagnés peuvent être soumis à des procédures frontalières et placés en détention lorsque les autorités nationales les considèrent comme un « danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public ». En outre, l’expérience a montré que le confinement d’un grand nombre de personnes dans les zones frontalières entraîne une surpopulation chronique et des conditions inhumaines, comme on l’a vu dans les îles de la mer Égée.
- Grâce à l’élargissement du principe du « pays tiers sûr », les demandeurs d’asile seront déclarés irrecevables et de plus en plus souvent expulsés vers des pays extérieurs à l’UE, ce qui accroît le risque de refoulement. Dans le passé, nous avons déjà pu observer ce type d’externalisation de traitement des demandes d’asile vers des pays tiers dans des accords échoués, comme l’accord UE-Turquie.
- En l’absence de voies d’accès sûres et régulières, les personnes en quête de sécurité sont contraintes d’emprunter des itinéraires de plus en plus dangereux, ce qui fait de 2023 l’année la plus meurtrière depuis 2015. Rien qu’en Méditerranée, plus de 2 500 personnes ont été déclarées mortes ou disparues l’année dernière. Le pacte n’aborde pas cette question, mais au contraire continue à renforcer la forteresse Europe.
- Une utilisation accrue des technologies de surveillance à tous les stades des procédures d’immigration et d’asile. Le Pacte représente un pas supplémentaire vers la surveillance de masse des migrants et des personnes racisées. Des technologies de surveillance seront déployées aux frontières et dans les centres de détention, des données personnelles des personnes seront collectées en masse et échangées entre les forces de police à travers l’UE, et des systèmes d’identification biométriques seront utilisés pour suivre les mouvements des personnes et pour renforcer le contrôle des migrants sans papier.
La société civile et des ONGs de droits de l’Homme ont régulièrement fait état de violations systématiques des droits fondamentaux des personnes en quête de sécurité, en particulier des communautés racialisées, en leur refusant l’accès aux abris, aux services et à l’asile et en recourant à des refoulements en masse. Tout cela, les politiques qui cherchent à criminaliser l’aide aux réfugiés et migrants, et même le mouvement en général, contribue à un rétrécissement de l’espace civique. La Commission a présenté le nouveau pacte comme une « solution » aux normes inégales dans la mise en œuvre d’un régime d’asile européen commun dans les États membres. Pourtant, le Pacte ne fait rien pour remédier à cette situation ni pour soutenir les États membres qui reçoivent un grand nombre d’arrivées aux frontières extérieures. Le principe du premier pays d’entrée est maintenu, il n’y aura pas de relocalisation obligatoire des personnes sauvées – une initiative qui aurait pu apporter des solutions humaines et durables grâce à la répartition proportionnelle des demandeurs d’asile dans toute l’Europe. Au lieu de cela, les États membres sans frontières extérieures de l’UE peuvent éviter le partage des responsabilités en finançant la fortification des frontières dans les États membres frontaliers ou en finançant des projets douteux dans des pays non membres de l’UE.
La Commission européenne et les présidences espagnole et belge du Conseil ont précipité la clôture des négociations, ce qui a entraîné plus de 48 heures de négociations en trilogue et l’abandon des dernières garanties minimales par le Parlement. Ce qui reste est un cadre législatif extrêmement complexe qui n’apporte aucune solution efficace aux problèmes de gestion des migrations soulevés ces dernières années et qui ne permet pas d’assurer la sécurité des personnes. L’accord, dans ses grandes lignes, reprend tous les principes du mandat de négociation du Conseil.
Nous, soussignés, appelons les députés européens à rejeter le pacte lors du vote en plénière. Il crée un système dans lequel le droit de demander l’asile dans l’UE est gravement menacé et engendrera une prolifération de violations des droits de l’Homme à travers l’Europe, contre des personnes en raison de leur statut migratoire.
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Le 9 avril 2024