27 juin 2024 – Tribune de Nathalie Tehio “Aux urnes citoyennes, citoyens !” publiée sur Mediapart

Tribune de Nathalie Tehio, présidente de la LDH

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Le président de la République, Emmanuel Macron, a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale juste après des élections européennes démontrant la montée en puissance du vote pour l’extrême droite. Quel que soit son calcul politicien, il a pris le risque impardonnable qu’une majorité d’extrême droite émerge, ouvrant la porte à la nomination d’un Premier ministre et d’un gouvernement dont le programme va à l’encontre de nos valeurs.

La presse s’est fait l’écho de ce qu’il aurait dit « Je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes », en réponse à une question posée lors de cérémonies de commémoration à Oradour-sur-Glane. La coïncidence interpelle sur son manque de responsabilité, de sens de l’Histoire et de sens moral face à ce que représente l’idéologie d’extrême droite.

Rappelons que le président est garant des institutions et du respect des principes et des libertés inscrits dans la Constitution au sens large, comprenant notamment la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946. Or sur ce plan la faillite est totale, car après avoir poussé au vote d’une loi « immigration », très inspirée du programme du Rassemblement national (RN), il prend une décision qui pourrait amener au pouvoir des candidats qui prônent la « préférence nationale » (rebaptisée « priorité »), alors que le Conseil constitutionnel vient de juger que la « politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées » est une exigence constitutionnelle, et que « les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ». La LDH (Ligue des droits de l’Homme) est par ailleurs partie au procès de responsables de l’ex-Front national poursuivis pour délit de provocation à la discrimination raciale, du fait de ce programme. Désormais, le président de la République prend le risque d’avoir un gouvernement d’extrême droite, dont le ministre de l’Intérieur qui dirige la police, le ministre de la Justice qui est le supérieur hiérarchique du parquet, et le ministre de la Défense à un moment où l’Ukraine continue à se défendre contre l’invasion de la Russie. Les préfets et les recteurs seraient sommés d’appliquer cette politique, ce qui impose de rappeler la nécessité pour les fonctionnaires de désobéir à un ordre manifestement illégal.

Mais l’extrême droite au pouvoir, c’est aussi la mise à mal de la séparation des pouvoirs. En Hongrie par exemple, Victor Orban a tout de suite cherché à contrôler totalement la justice pour que les juges fassent appliquer les nouvelles normes et qu’il ne puisse pas exister de recours effectif contre des décisions portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux. C’est donc bien l’Etat de droit qui serait atteint, car l’extrême droite songe à supprimer le Conseil constitutionnel et à dénoncer la Convention européenne des droits de l’Homme. Dans un tel cas, nous ne pourrions faire prévaloir les droits de l’Homme, tels que définis par la Cour européenne des droits de l’Homme, sur les lois contraires.

Nous savons aussi que l’extrême droite déjà aux commandes dans des communes s’attaque aux associations considérées comme contestataires (dont la nôtre), à la liberté d’expression, à l’égalité entre les usagers…

Dans ce contexte, la LDH prend toute sa part dans le combat contre l’extrême droite, et pour convaincre les abstentionnistes. Elle a travaillé à des rapprochements entre associations et syndicats pour faire front commun et a signé le programme de la Coalition 2024, car il ne s’agit pas de donner un blanc-seing aux forces politiques. La société civile doit rester mobilisée pour exiger une réelle alternance politique, démocratique, écologique et sociale.

Autres scrutins, autres problèmes. La Nouvelle-Calédonie continue à vivre les conséquences de la politique de raidissement impérialiste du chef de l’Etat qui a confié le devenir de cette collectivité à son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, alors que le dossier était géré par le Premier ministre depuis Michel Rocard. Celui-ci avait permis le retour à la paix grâce aux Accords de Matignon en 1988. L’accord de Nouméa de 1998, opérant des transferts de souveraineté aux institutions de la Nouvelle-Calédonie (la France conservant les compétences régaliennes), reconnaissait dans son Préambule l’existence d’une « population autochtone », le peuple kanak, et les souffrances endurées en raison du fait colonial. Il actait que « la décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d’établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps ». Le gel du corps électoral pour les élections provinciales aux personnes inscrites avant 1998 et ayant dix années de présence en Nouvelle-Calédonie – ou leurs enfants – correspondait à la nécessité de rééquilibrer l’exercice du pouvoir politique au profit d’une nouvelle citoyenneté de « destin commun », du peuple kanak et des autres communautés. La loi constitutionnelle de dégel voulue par le gouvernement ouvrait la voie à une nouvelle colonisation de peuplement, qui aurait pu marginaliser définitivement le peuple kanak dans son propre pays. La révolte des jeunes Kanaks de Nouméa et des communes avoisinantes témoigne de leur volonté d’obtenir l’indépendance mais aussi de leur vécu d’injustice sociale largement héritée du colonialisme. Les provinces Nord et des îles Loyauté n’ont pas été touchées, ce qui démontre aussi la réalité d’un destin partagé depuis 1988. Reste à trouver le chemin de la paix, auquel la population aspire, et qui est recherché tant par les coutumiers que par de nombreux élus, dont le président du gouvernement, Louis Mapou (indépendantiste). Actuellement, la Nouvelle-Calédonie est au bord de la cessation de paiement, les destructions ont touché non seulement des maisons, des entreprises mais aussi des infrastructures publiques. Il est urgent de retrouver la voie du dialogue et un nouvel accord politique, et que l’esprit de l’accord de Nouméa (le processus de décolonisation vers une pleine souveraineté) soit de nouveau recherché par un Etat français redevenu neutre.

Il faudra aussi que la justice se montre impartiale dans le traitement des affaires, pour inscrire les actes commis par les jeunes Kanaks dans le cadre de la revendication politique et pour enquêter sur les exactions qui auraient été commises tant par certains policiers que par des milices. Neuf morts sont actuellement à déplorer, directement liés à l’embrasement de mai dernier, dont sept Kanaks. Le fait de choisir des lieux de détention provisoire de responsables politiques indépendantistes dans l’hexagone, à 17.000 kilomètres de chez eux, porte atteinte à leur droit à la vie privée et familiale et à leurs droits de la défense et participe à la recrudescence des tensions.

Nathalie Tehio, présidente de la LDH

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