Tribune de Nathalie Tehio, présidente de la LDH
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Jordan Bardella, nouvelle figure de l’extrême droite française, au Rassemblement national (RN), ne voit dans l’Europe qu’une « machine à normer » handicapante pour les entreprises : « L’Union européenne est aujourd’hui devenue une industrie à normes […] qui empêchent nos entreprises de créer, d’innover, d’être compétitives dans l’économie mondiale », déclarait-il sur CNews le 6 juin.
C’est pourtant en produisant des normes que la Commission européenne s’est montrée la plus ambitieuse en matière de santé environnementale, qu’il s’agisse des pesticides ou de la pollution de l’air, et on peut même déplorer qu’elle ne l’ait pas été suffisamment dans certains domaines, notamment les nanoparticules. Si le Rassemblement national devait accéder au pouvoir en France, grâce à une majorité de voix aux élections législatives prochaines, les conséquences sur les plans sanitaire et environnemental pourraient donc être désastreuses, comme elles le sont déjà dans les pays ayant hissé des partis d’extrême droite au gouvernement.
La santé environnementale, qui repose sur la compréhension des interconnexions entre la santé humaine et l’environnement (l’air, les animaux, les écosystèmes, etc.), est depuis peu un enjeu de droit. En juin 2022, lors de son 91e congrès, la LDH (Ligue des droits de l’Homme) a adopté une résolution affirmant que le droit à un environnement sain est indissociable des autres droits fondamentaux. Le 28 juillet de la même année, l’Assemblée générale des Nations unies votait une résolution déclarant que l’accès à un environnement propre, sain et durable est un droit humain universel.
Faisant un pas de plus en mars dernier, le Réseau européen des institutions nationales des droits de l’Homme (Ennhri) exhortait, quant à lui, les États membres du Conseil de l’Europe à créer un instrument contraignant garantissant l’application de ce droit, accompagné d’un mécanisme de surveillance efficace.
Une nouvelle ère pour l’environnement et la santé pourrait donc s’ouvrir si les États défendaient l’interdiction des pesticides les plus dangereux, des produits provoquant l’essor des leucémies et tumeurs du système nerveux central chez l’enfant, ainsi que des cancers de la prostate, des lymphomes non hodgkiniens ou des maladies de Parkinson en cas d’exposition professionnelle.
S’ils développaient aussi les transports moins polluants (comme le train ou les pistes cyclables), rénovaient les logements — la pollution de l’air aux particules fines étant responsable, selon Santé publique France, de 40 000 décès par an dans notre pays. L’essor des énergies renouvelables — indispensable à la réduction des gaz à effet de serre, qui provoquent, en même temps que les soubresauts du climat, morts et maladies — contribuerait lui aussi à réduire sérieusement les facteurs environnementaux toxiques, déjà responsables de 15 % des décès annuels en Europe.
« L’écologie punitive », un slogan-épouvantail
Dans sa résolution, la LDH a rappelé que la justice sociale impose que les améliorations à apporter aux politiques publiques dans une perspective écologique respectueuse du bien-être et du milieu de vie soient fondées sur les droits des personnes concernées. Pour autant, le but est de rendre effectif le droit à un environnement sain, propre et durable.
Or, au nom du rejet de «l’écologie punitive», slogan-épouvantail de la droite ultralibérale, le RN se montre très actif pour saper les avancées environnementales et sanitaires prometteuses. Il a en effet participé avec la droite traditionnelle, et quelques élus socialistes et libéraux, à l’affadissement du Pacte vert européen, pourtant porteur d’une réduction de 50 % de l’usage des pesticides d’ici à 2030 (et de 65 % pour les substances les plus dangereuses).
De même, malgré le nombre important d’études soulignant la dangerosité du glyphosate, les alliés parlementaires de droite et d’extrême droite, en soutien des lobbies industriels, sont responsables de la prolongation, par la Commission européenne, de son autorisation jusqu’en 2033. Une décision attaquée en justice.
Exit aussi la révision du règlement Reach, pilier de la stratégie « zéro pollution » du Pacte vert, qui devait permettre d’éliminer des milliers de substances chimiques dangereuses par familles entières (comme les PFAS, les bisphénols ou les parabènes), sous la pression d’importants acteurs de l’industrie chimique, dont les géants allemands Bayer et Basf, relayée au Parlement européen par le chef de file des députés conservateurs, Manfred Weber. Tout comme le Nodu, dans le cadre du plan Écophyto, qui offrait une vision objective de la dépendance de notre agriculture aux pesticides, victime de la pression exercée par la FNSEA — le syndicat majoritaire —, avec le soutien de la droite et de l’extrême droite.
En France, l’interdiction de fabrication, d’importation, d’exportation et de vente de certains produits contenant des PFAS, ces polluants éternels toxiques soupçonnés d’altérer nos fonctions immunitaires et d’avoir des effets cancérigènes, constitue une belle avancée. Malheureusement, une mobilisation des députés du Rassemblement national, de Renaissance et des Républicains à l’Assemblée nationale, en avril dernier, a permis d’exempter de ce texte les ustensiles de cuisine aux revêtements antiadhésifs, notamment la fameuse poêle en Téflon, objet pourtant quotidiennement utilisé.
Même si le programme du RN pour les élections législatives place parmi ses objectifs phares « la priorité à la santé », on pourrait continuer longtemps de démontrer que, dans les faits, la réalité est tout autre.
Assouplissement des obligations de rénovation énergétique des bâtiments, retardement de l’interdiction de vente de voitures thermiques neuves, etc., ce parti nationaliste ne remet jamais en cause la structure productiviste toxique de notre société. Sans compter que, malgré son discours social sur le « pouvoir d’achat des Français », il ne prévoit en rien de restaurer les hôpitaux publics ni de recréer une offre médicale dans les départements désertifiés.
Une vague brune déjà néfaste en Europe
En cela le Rassemblement national n’est pas une exception. Tous les partis d’extrême droite au pouvoir mènent des politiques favorables aux lobbies et défavorables à la population, notamment en ce qui concerne le développement des énergies renouvelables. En Hongrie, avec le Premier ministre Viktor Orbán, leur part a chuté, en même temps que remontaient les émissions de carbone. Parallèlement, une partie des fonds européens destinés à des initiatives écologiques a été détournée au profit des proches du gouvernement, ou pour subventionner des projets allant à l’encontre des objectifs écologiques des financements européens, comme les mines de lignite.
En Allemagne, Alternative pour l’Allemagne (AfD) compromet aussi la transition énergétique européenne. Aux Pays-Bas, le Parti pour la liberté (PVV) a fait annuler des mesures ambitieuses pour réduire les émissions d’azote et favorise une horticulture productiviste qui utilise massivement des pesticides, augmentant, entre autres maladies graves, le nombre de cas de maladies de Parkinson à des niveaux jamais atteints.
Nous pourrions aussi évoquer le parti Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), qui propose de développer les hydrocarbures en Afrique pour sécuriser les approvisionnements énergétiques de l’Italie, ignorant les énergies renouvelables ; la coalition de droite suédoise arrivée au pouvoir en 2022, qui a significativement reculé sur les engagements climatiques, ou encore M. Bolsonaro, au Brésil, sous la présidence duquel la déforestation en Amazonie, un des poumons verts du monde, a atteint son plus haut niveau depuis plus d’une décennie.
L’essor de l’extrême droite représente de fait une menace sérieuse pour les générations futures et pour la planète. La LDH (Ligue des droits de l’Homme) appelle donc à se mobiliser et à soutenir les parlementaires qui porteront des politiques de santé environnementale ambitieuses et justes, et à aller voter massivement contre l’extrême droite lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet prochains.