L’Avis du 26 septembre 2013 de la CNCDH répond à la question du président de l’Observatoire de la Laïcité sur « les voies et les moyens d’une bonne application du principe de laïcité », mais est bien plus qu’un avis de circonstance. L’argumentation, qui fonde le refus de l’extension du principe de neutralité aux entreprises privées, ainsi que d’autres avis rendus dans les dernières années par la CNCDH, confortera les défenseurs de la laïcité et des droits de l’Homme en cette période de détournements du principe de laïcité fondateur de notre République dans des dérives partisanes, ou franchement discriminatoires. L’Avis du 26 septembre mobilise un ensemble de textes nationaux et internationaux autour du principe de laïcité qui « concilie la liberté de conscience, le pluralisme religieux, et la neutralité de l’Etat » (paragraphe 2). Cet ensemble de textes produit un régime juridique qui donne au juge un rôle fondamental d’appréciation. C’est peut-être la complexité de ce corpus et de la jurisprudence qui a fait parler de « vide juridique » (paragraphe 30 et suivants).
Non pas un « vide juridique », mais une méconnaissance de ce qui existe déjà
La CNCDH constate que cet appareil juridique, très complet, est mal connu et d’abord dans les entreprises par les chefs d’entreprise eux-mêmes. Que l’avis de la CNCDH renvoie aux « outils juridiques de régulation », et d’abord à la législation actuelle et au Code du travail, découle de ce constat. Le paragraphe 37 de la conclusion invite à nouveau à « lutter contre l’ignorance laïque ». En ce sens, les débats ou polémiques ayant suivi les arrêts de mars de 2013 de la Cour de cassation ont manifesté « une ignorance laïque, tantôt réduite à un simple principe de tolérance, tantôt déformée jusqu’à réclamer le rejet de tout signe religieux dans l’espace public » (paragraphe 3).
L’avis du 26 septembre s’inscrit dans le prolongement de la loi de 1905 et de l’impératif de neutralité de l’Etat, comme garantie de l’égalité et de la liberté. Cet impératif ne saurait s’étendre aux usagers du service public, sauf lorsque ces usagers en viennent à ne pas respecter la liberté d’autrui ou à gêner le fonctionnement des services.
L’Avis constate les difficultés pour un non spécialiste à établir les frontières entre privé et public et invite non pas à produire pour ce faire de nouvelles lois, mais encore une fois à « mieux diffuser et expliciter la jurisprudence relative à la définition du service public » (paragraphe 20), ce que précise le paragraphe 22 : « ajouter au corpus juridique existant une nouvelle loi serait à la fois problématique au regard de la protection des libertés et du principe de non-discrimination. »
C’est dans cette appréciation (aidée par des techniques permettant de définir les activités relevant du service public) que les outils souhaités par la CNCDH pourront le mieux guider les différentes parties dans la vie de l’entreprise ; sans confondre, par exemple, délégation de service public et convention de subventionnement pour qualifier le service public…
S’en référer au droit du travail
Si le principe de neutralité n’existe pas dans le Code du travail, le droit du travail intègre par contre le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination, qui inclue les convictions religieuses. S’ajoute un principe de protection des libertés individuelles dans le travail qui, hors les limitations prévues par la loi, concerne aussi la liberté religieuse ; l’idée que « la limite posée doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnelle au but recherché » s’étend y compris aux « entreprises de tendance ». Lire au paragraphe 25, l’analyse critique de cette notion.
Cette limite ne pourra à l’évidence pas reposer sur des éléments discriminatoires. L’avis de la CNCDH précise que cette discrimination ne saurait pas plus être indirecte, en particulier dans l’accès à l’emploi et elle souhaite (paragraphe 39) « rester attentive à toute réforme qui risquerait d’avoir des conséquences négatives, par exemple en privant certaines catégories de la population de l’accès à de nombreux droits (droit à l’éducation, accès à l’emploi…) ».
L’apport des travaux de la CNCDH
Cet Avis sur la laïcité manifeste la compétence et l’autorité prises, avis après avis, par la CNCDH sur le principe de laïcité et son application. Du Rapport de 1992 sur « Le droit à l’expression dans la société laïque » à ce dernier Avis, en passant par celui du 21 janvier 2010 sur « Le port du voile intégral » se structure le principe que se « la séparation des Eglises et de l’Etat ne doit pas être comprise comme visant à l’éviction hors de l’espace public de toute manifestation d’une conviction religieuse » (paragraphe 3 de l’Avis du 26 septembre 2013), c’est-à-dire le renvoi du religieux dans l’espace de l’intimité. L’Avis sur le voile intégral élaborait la distinction de la sphère privée et de la sphère publique comme « affirmation d’une différence de nature entre d’une part la poursuite, par un ou plusieurs individus, d’un engagement intime qui leur est propre (l’adhésion à une croyance et les manifestations collectives possibles de cette adhésion) et d’autre part la participation du citoyen à la vie politique, c’est-à-dire aux affaires publiques » (paragraphe 11).
Contrairement à ceux qui voudraient opposer laïcité et droits de l’Homme, les avis successifs de la CNCDH constituent le principe de laïcité comme garantie des droits d’expression, ce que confirme une lecture attentive de la loi de 1905.