Le Collectif « Uni(e)s contre l’immigration jetable » (Ucij), dont la LDH est partie prenante, appelait à une journée de mobilisation le 18 décembre, Journée internationale pour les droits des travailleurs migrants et de leurs familles.Une mobilisation d’autant plus importante que la Convention internationale du même nom n’est toujours pas ratifiée par les pays développés qui accueillent aujourd’hui un grand nombre de migrants, et que, dans ces pays, leur accès aux droits tend à se dégrader : conséquence d’un aveuglement face à la réalité des migrations aujourd’hui, de leur nature et de leurs dynamiques propres.
Les migrants victimes de la crispation de l’Europe sur ses frontières
L’Europe se crispe sur ses frontières extérieures et dépense de plus en plus pour tenter de verrouiller des points de passage, elle laisse mourir par milliers des migrants en Méditerranée ou dans le Nord-Sahel en espérant un illusoire effet dissuasif. Elle réduit l’accès au droit d’asile, une des voies d’accès au séjour que tentent d’emprunter les migrants faute d’avoir accès à l’immigration pour raison économique. Mais il n’y a pas plus d’effet dissuasif qu’il n’y a d’appel d’air, tant les causes qui poussent les jeunes à partir sont largement irréductibles aux politiques menées dans les pays d’accueil : on part vers l’activité et le travail, on part vers un ailleurs possible, vers ce monde largement factice que montrent télévisions et réseaux sociaux, avec le sentiment que là-bas il y aura au moins un avenir et la possibilité d’aider les siens…
Une partie de ceux qui ne meurent pas en route se trouvent bloqués, soit dans des pays de transit (Tunisie, Maroc, Turquie), soit en Europe dans les pays de destination, faute de régularisation et de possibilité de circuler. D’autres, les plus nombreux, arrivés comme touristes, comme étudiants ou venus hors regroupement familial rejoindre une partie de leur famille, sont eux aussi réduits, faute de titre de séjour, à la plus grande précarité et au travail « au noir ».
La politique de l’Europe est à l’image d’un continent qui a perdu son statut de grande puissance coloniale puis sa place de premier de la classe, et se vit, à tort ou à raison, comme en déclin. Sa crispation sur ses acquis, ses particularismes et ses frontières est évidemment une impasse dans un monde où elle aurait pu parier sur l’universel et la circulation des hommes et des idées. A condition de s’appuyer sur le respect des droits.
Quand des salariés détachés venus de Roumanie, de Pologne ou d’ailleurs en Europe sont utilisés pour réduire les sempiternels « coûts du travail » et maximiser les profits, on s’indigne et on applaudit à l’annonce d’un accord qui limite (un peu) l’exploitation des salariés détachés dans le BTP. En revanche, personne ne s’indigne que des sans-papiers soient employés avec les plus bas salaires et les pires conditions de travail par nombre d’entreprises qui profitent de leur situation de dénuement. Personne ne proteste parce que des familles se retrouvent dans des squats ou des bidonvilles faute de logements ou parce que des enfants ne peuvent aller à l’école, des jeunes accéder à une formation. Pourtant c’est la régularisation de ceux qui sont ici, vivent et travaillent parmi nous qui permettrait de sortir progressivement par le haut de ces situations, non seulement parce que cela pourrait avoir des répercussions favorables sur les recettes de l’Etat et un effet d’entraînement sur l’économie, mais avant tout parce que cela correspondrait au respect du droit des personnes et à la reconnaissance de leur dignité.
Mais si l’immigration est depuis longtemps au centre des débats politiques, en particulier à l’approche des élections, c’est non pour trouver le moyen d’améliorer le sort des migrants et de vivre mieux ensemble, mais parce que cette population est un bouc émissaire commode, présentée comme la cause de nos maux, une menace que l’on s’acharne à vouloir enrayer par une gestion policière et répressive.
La gauche tergiverse, la droite repeint sa façade, mais la logique reste inchangée
Après un an et demi au pouvoir, l’arrivée de la gauche au gouvernement n’a pas véritablement changé le discours sur les migrants et la réalité de leur situation.
La refonte du Code de l’entrée, du séjour et du droit d’asile est remise aux calendres post-électorales et seule une circulaire a permis quelques régularisations supplémentaires, au moins pour les familles et les conjoints. Mais elle n’a pas la valeur contraignante d’une loi, elle laisse de côté beaucoup trop de situations et ne rompt en rien avec l’arbitraire des préfectures où les mêmes fonctionnaires appliquent globalement les mêmes directives. Puis est venue l’affaire Léonarda, et si des jeunes majeurs ou des familles continuent à faire l’objet de décisions de refus de séjour, le pouvoir socialiste hésite pour un temps à les interpeller et les expulser, créant ainsi de nouvelles catégories de « ni-ni », ni régularisés, ni expulsés, le comble de la générosité pour ce gouvernement…
Quant au droit d’asile, la volonté du ministre de l’Intérieur, toujours en charge de l’immigration, est de faire ce que la droite n’a pas su faire : accélérer les procédures, renforcer la surveillance sur les demandeurs et se donner les moyens d’expulser plus vite et en plus grand nombre les déboutés, avant qu’ils n’aient pu, ô scandale, commencer à s’intégrer et tisser des liens.
La droite, quant à elle, est prise entre deux feux : d’un côté, un ministre « de gauche » qui base sa popularité sur ce qu’il appelle une politique migratoire « juste, mais ferme », s’illustre par des déclarations aussi scandaleuses que préméditées sur l’incapacité des Roms à s’intégrer ou sur la remise en cause du droit des populations africaines au regroupement familial ; de l’autre, une extrême droite qui malgré sa volonté nouvelle de respectabilité, garde intact son vieux fond démagogique et xénophobe. L’UMP vient de tenter une opération de ravalement. A l’occasion de sa récente convention sur le sujet, elle a prétendu se démarquer du Front national et adopter une approche différente de la question des flux migratoires. Mais elle ne ravale que la façade.
En effet, le mouvement dirigé par Jean-François Copé dit vouloir « rejeter la vision de l’étranger comme une menace » ou la cause du chômage, et prendre acte de « la nécessaire mobilité des populations ». Il voudrait notamment orchestrer « l’immigration choisie » par la création d’un « permis à points » pour immigrer en France.
Mais cette déclaration d’intention ne résiste pas à l’examen de ses propositions :
– volonté de renégocier la Convention européenne des droits de l’Homme pour remettre en cause le droit à la vie privée et familiale ;
– et, en attendant, nouvelles restrictions au regroupement familial ;
– suppression de l’Aide médicale d’Etat (AME), remplacée par un accès aux soins uniquement en cas d’urgence ;
– refus du droit au travail pour les étrangers malades ;
– remise en cause du droit du sol pour les enfants nés en France ;
– recherche du « zéro régularisation »…
On le voit : la mise en œuvre d’un tel programme reviendrait à porter de nouvelles et graves atteintes aux droits fondamentaux.
Une impérieuse nécessité : continuer à se mobiliser pour les droits de tous
La Ligue des droits de l’Homme manifestait le 18 décembre avec le collectif national « Uni(e)s contre l’Immigration Jetable » (Ucij) sur la base d’un appel dans lequel elle retrouve l’essentiel de ses exigences.
Avec l’Ucij nous dénonçons l’immobilisme d’un gouvernement qui n’a pas véritablement rompu avec une gestion répressive et xénophobe des questions migratoires, affiche des objectifs inchangés de reconduites à la frontière et maintient un très grand nombre d’étrangers vivant sur notre sol dans une situation d’insupportable précarité :
– les sans-papiers victimes d’un système qui, non content d’encourager leur surexploitation au travail, les pénalise sur le plan du logement, de la santé, de l’insertion sociale et professionnelle ou de la vie familiale… ;
– mais aussi ceux qui ont pu gagner leur régularisation, mais qui doivent trop souvent se contenter de titres précaires qui les obligent à des démarches incessantes qui surchargent les préfectures, mais surtout qui ne leur permettent pas un plein accès aux droits.
Une telle situation ne pénalise pas seulement les étrangers, mais l’ensemble de la population, qu’on cherche à habituer au fait que certaines personnes auraient moins de droits que d’autres.
Parce que les droits qu’on refuse aujourd’hui à certains risquent d’être refusés au plus grand nombre demain, la LDH revendique :
– une égalité doit devenir effective entre tous, Français ou étrangers, quelle que soit l’origine ou la couleur de ceux qui font société avec nous ;
– le respect pour tous et toutes des droits fondamentaux, dans le travail, l’accès aux soins, l’éducation, le droit de vivre en famille, comme vis-à-vis de la retraite, ce qui passe d’abord par la régularisation des sans-papiers, ensuite par des politiques sociales ambitieuses en faveur de toutes les populations défavorisées ;
– la délivrance, non de titres précaires qui divisent les catégories entre elles, mais d’un titre unique de séjour, pérenne et de plein droit ;
– enfin, le droit de vote aux élections locales doit être reconnu sans tarder aux étrangers durablement installés sur notre territoire.
C’était le sens de notre présence dans la rue le 18 décembre et, au-delà, de notre engagement permanent pour une société plus solidaire et plus respectueuse des droits de tous.