Les associations engagées dans la défense du droit d’asile s’interrogent sur l’effet de leur rôle dans la participation à la concertation engagée par le gouvernement sur l’évolution du droit d’asile. Rappelons qu’à ce stade il ne s’agit pas ici du projet de loi mais du rapport remis au ministre de l’Intérieur. Ce texte revient et complète celui publié dans la Lettre d’information « Droits de l’Homme » n° 100, par Dominique Guibert : « La réforme de l’asile : les associations en attente de réponses ».Des craintes justifiées
Le rapport des deux parlementaires chargés de cette mission, Valérie Létard et Jean-Louis Touraine, a été remis au ministre de l’Intérieur, le 28 novembre 2013.
Téléchargez le rapport sur la réforme de l’asile
Pour une présentation du rapport et des documents supplémentaires :
http://www.interieur.gouv.fr/Actualites/L-actu-du-Ministere/Reforme-de-l-asile2
A la lecture du rapport, les associations, dont la LDH, peuvent aujourd’hui dire que leurs craintes, présentes dès le lancement de la concertation sur l’existence de scénarios dont la rédaction devait déjà être bien avancée, étaient parfaitement justifiées. Pour mémoire, la Concertation a en effet été décidée et menée dans le contexte d’un calendrier contraint par la loi de finances pour 2014. Les associations et organisations sont unanimes : elles soulignent une absence d’ambition et la pauvreté des propositions (Coordination française pour le droit d’Asile – CFDA, Fnars) ; pour la CNCDH « une approche purement quantitative et économique » a été privilégiée. De tous côtés, s’exprime une vive inquiétude concernant les mesures préconisées, parce que celles-ci vont davantage dans le sens de la restriction et de la coercition que dans celui, attendu, d’une amélioration des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, ainsi que du respect de leurs droits. A la lecture de ce rapport, on est en droit de douter de son attachement au respect du droit d’asile, inscrit dans la Constitution et, à ce titre, fondamental et non négociable : si les mots sont bien cités, les mesures préconisées ne sont pas en concordance avec ces principes.
L’analyse de la CNCDH est, sur ce sujet, particulièrement éclairante : d’abord parce qu’elle replace le rapport dans un contexte européen, et ensuite parce qu’elle propose une analyse par droits et non au fil des différentes étapes du parcours du demandeur d’asile. Sa lecture est extrêmement instructive et beaucoup moins longue que celle du rapport…
Téléchargez l’avis sur le régime d’asile européen commun de la CNCDH
Les principales propositions
Dans ses grandes lignes, le rapport préconise :
– accès à la procédure : il doit tout d’abord être allégé : domiciliation, durée, saisine simplifiée de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Ce sont les préfectures qui continueraient à jouer un rôle central lors du premier accueil et du dépôt de la demande d’asile, et non l’Ofpra. Ce n’est qu’à titre expérimental que des antennes régionales de l’OFPRA pourraient être implantées. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), qui gère seul ou en partenariat avec certaines associations les plateformes de premier accueil, conserverait un rôle premier. Des garanties sont renforcées pour les demandeurs, comme la présence d’un tiers lors de l’entretien devant l’Ofpra. Les voies de recours pourraient évoluer, comme l’extension du caractère suspensif du recours devant la CNDA, qui pourrait être prévue pour les demandeurs en procédure prioritaire ;
– accès à l’hébergement : le rapport préconise la mise en place d’un nouveau dispositif d’orientation des demandeurs d’asile vers leur hébergement, faisant en particulier appel à la mise en place d’une solidarité entre les régions, afin de délester les régions où la concentration de demandeurs est trop forte.
Concernant les offres d’hébergement : le rapport préconise une offre unique d’hébergement sur le modèle des Centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), tout en prévoyant des solutions alternatives assorties « d’un accompagnement social de proximité » ;
– accès aux droits sociaux (allocations) : rappel : actuellement les demandeurs d’asile hébergés en Cada perçoivent l’Allocation mensuelle de subsistance (AMS), dont le montant varie en fonction de la composition de la famille ; hors Cada, ils perçoivent l’Allocation temporaire d’attente (ATA) qui n’est versée qu’aux adultes. L’ATA est actuellement versée par Pôle Emploi.
Le rapport préconise d’une part la « familiarisation » de l’ATA, i.e. son ajustement au nombre de membres de la famille ainsi qu’un transfert de PE à l’Ofii. D’autre part, il propose le conditionnement de son versement aux demandeurs d’asile qui ont accepté de s’inscrire dans le dispositif d’hébergement qui leur est dédié.
Enfin, rien n’est précisé sur la couverture maladie (Aide médicale de l’Etat – AME) ;
– gestion des fins de procédure : pour les déboutés, afin de s’assurer de leur départ du territoire français, le rapport propose la création de centres dédiés semi ouverts/fermés afin de les préparer au retour dans leur pays.
Première analyse critique de ces préconisations
Toute mesure créant des filtres pour limiter l’accès à la procédure et dissuader les personnes de demander l’asile porte atteinte au droit d’asile et complexifie inutilement la procédure.
– Accès à la procédure : pas d’objection bien sûr à la simplification des procédures. En revanche, contrairement à la demande réitérée des associations, le rôle central lors du dépôt de la demande reste attribué aux préfectures, dont le pouvoir discrétionnaire injuste et hétérogène sur le territoire a déjà été maintes fois souligné (cf. en particulier le rapport de la CFDA déjà cité : rapport, 13 février 2013, « Droit d’asile en France : Conditions d’accueil – Etat des lieux 2012 »). Les associations s’étaient unanimement prononcées pour une gestion par l’Ofpra (dont la tutelle du ministère de l’Intérieur n’est pas remise en cause, revendication de longue date – 10 ans – de la LDH). Quant au rôle de l’Ofii, conforté, on peut simplement rappeler l’opposition des associations à son Référentiel des prestations de premier accueil des demandeurs d’asile (17 novembre 2011, « Proposition CFDA de contre-référentiel des plateformes d’accueil pour demandeurs d’asile »). On remarque que si une présence est prévue pour l’entretien du demandeur devant l’Ofpra celle-ci se résume à un tiers non identifié : quid d’un interprète, d’un avocat, d’un membre d’une association ? Enfin, le recours pleinement suspensif pour toutes les demandes est loin d’être acquis.
– Accès à l’hébergement : la LDH rappelle son attachement à la fin de la régionalisation de l’accueil (« les demandeurs d’asile peuvent déposer leur demande dans la préfecture de leur choix ») et à la création de places en nombre nécessaire dans toutes les régions. Nous soulignons également la garantie du libre choix du mode d’hébergement du demandeur d’asile (Cada ou chez un tiers) sans que la décision ne crée des différences de traitement dans l’accompagnement du demandeur.
Concernant les offres d’hébergement, nous rappelons que le Cada doit effectivement être le modèle pivot de l’hébergement pour les demandeurs d’asile qui en font la demande, et qu’aucune solution dissociant logement et accompagnement (administratif et social) ne doit lui être substituée. Enfin, il convient de souligner que le droit au travail sans restriction de délai pour les demandeurs d’asile permettrait une autonomie des demandeurs… moins coûteuse pour l’Etat.
– Accès aux droits sociaux (allocations) : concernant l’ATA, la LDH, comme les autres associations, est tout à fait favorable à la « familialisation » de l’ATA. Il convient toutefois d’être extrêmement vigilant sur deux points : son montant et son attribution. Montant : la familialisation ne doit en aucun cas se faire au détriment de la baisse de l’ATA des demandeurs d’asile isolés. Attribution : des conditions d’attribution liées au mode d’hébergement ou à l’acceptation de la prise en charge sont inacceptables.
Pour ce qui est de l’AME, nous rappelons notre attachement au rattachement des demandeurs d’asile au régime de droit commun.
– Gestion des fins de procédure : tout d’abord, la LDH maintient l’exigence du réexamen possible de tous les dossiers après les décisions Ofpra et CNDA. Par ailleurs, les associations réaffirment unanimement leur opposition à toute mesure privative de liberté, contraire à la dignité de la personne.
– On note que le cas particulier des personnes vulnérables ne fait pas l’objet de préconisations spécifiques, mais est traité dans différentes préconisations, ce qui est loin de satisfaire nos demandes. Les associations seront vigilantes sur l’accompagnement des plus vulnérables tout au long de la procédure et pas seulement à l’arrivée du demandeur. Elles attirent également l’attention sur toute utilisation d’outils d’identification de la vulnérabilité simplistes (clés en main).
Enfin, si ces points ne sont pas clairement cités dans les sept préconisations, il convient de noter certaines revendications auxquelles la LDH est très attachée et qui ne sont pas traitées ici, comme : le retrait de la liste des pays d’origine sûrs (POS), notre opposition au système Dublin et la demande de sa suppression, ou encore l’ancrage de la réflexion sur l’asile dans le cadre des nouvelles directives européennes qui, dans le rapport, bien que revendiquées, n’apparaissent jamais comme clairement identifiées.
Une première réponse de la CFDA
La Coordination française pour le droit d’asile (CFDA), dont la LDH est membre, a décidé, dans un premier temps, de répondre par un bref rapport aux sept préconisations du rapport des parlementaires.
Ce document, en cours d’élaboration, sera prêt mi-janvier.