Intervention d’Emmanuel Terray, de la LDH, le 12 juin 2008 à la Halle Carpentier, à Paris« J’interviens au nom des associations réunies dans le collectif Uni(e)s contre l’Immigration Jetable, et je voudrais tout d’abord m’adresser aux travailleurs en grève et leur dire : chers camarades, voilà des années qu’on attendait et qu’on espérait un mouvement comme le vôtre. Depuis des années, en effet, plusieurs organisations syndicales, la CGT, Solidaires, la FSU et d’autres apportaient leur soutien au mouvement des sans papiers; mais nous étions nombreux à leur dire : vous soutenez les sans-papiers comme sans-papiers et c’est très bien, mais il faudrait passer à la vitesse supérieure et les soutenir comme travailleurs, parce que ce sont les travailleurs les plus exploités de ce pays. Et bien, depuis le 15 avril, voilà qui est fait, et bien fait, et nous vous disons de tout cœur : bravo.
L’action que vous avez engagée avec la CGT, Droits Devant !!, l’organisation Femmes-Egalité et les organisations qui vous ont rejoints, cette action représente un tournant essentiel dans l’histoire malheureusement déjà longue du mouvement des sans-papiers. Un tournant essentiel, parce que vous avez apporté à la connaissance des citoyens et des citoyennes de ce pays trois évidences que le gouvernement s’acharnait à leur cacher.
Première évidence : les sans-papiers sont des travailleurs et des salariés comme les autres, ils ont des contrats de travail, des bulletins de paie, ils paient leurs cotisations sociales et leurs impôts comme les autres et il est plus que temps de leur reconnaître leur place et leurs droits comme aux autres salariés.
Deuxième évidence : un certain nombre de secteurs importants de l’économie française – le bâtiment – travaux publics – l’hôtellerie – restauration – la sécurité – le nettoyage – l’aide à la personne – fonctionnent largement grâce au travail des hommes et des femmes sans-papiers. Ces hommes et ces femmes jouent donc un rôle décisif dans notre économie et là aussi, il est plus que temps de le reconnaître.
Troisième évidence : voilà des années que des employeurs sans états d’âme exploitent en toute illégalité le travail des sans-papiers avec la complaisance, sinon la complicité de l’administration et du gouvernement. Bien sûr, ils nous disent : « On ne savait pas ». Foutaises. En réalité, les uns ne voulaient pas savoir et les autres fermaient volontairement les yeux. Mais maintenant les travailleurs sans-papiers sont sortis au grand jour et il est fini, le temps des faux-semblants, des mensonges et des hypocrisies : chacun est placé devant ses responsabilités, et chacun devra les assumer clairement.
Encore deux points. Premier point, il faut se réjouir de l’unité qui s’est fait autour de votre action : unité syndicale d’abord, unité des associations et de tous ceux qui soutiennent le mouvement des sans-papiers, ensuite il faut renforcer encore cette unité, parce que nous savons bien que nous ne gagnerons qu’en pesant tous ensemble dans la même direction contre notre adversaire commun, le gouvernement.
Dernier point. Bien entendu, tous ceux qui sont dans cette salle luttent pour le même objectif : la régularisation de tous les sans-papiers avec carte de 10 ans, et notre combat ne prendra fin que quand cet objectif sera atteint. Mais nous n’avons jamais été des partisans du tout ou rien, et nous avons toujours saisi les possibilités qui se présentaient grâce à nos luttes de remporter des victoires partielles, étapes vers la victoire finale. C’est ce que nous avons fait en 2006 avec les familles d’enfants scolarisés, c’est ce que nous faisons cette année avec le travail. Une brèche a été ouverte ; le gouvernement voudrait bien la refermer, et c’est pourquoi il cherche à gagner du temps, et à faire pourrir la situation. A nous au contraire d’élargir cette brèche, et d’y faire rentrer, après les grévistes d’aujourd’hui, tous les isolés, tous ceux qui sont payés de la main à la main, en liquide, à la commande ou à la journée. Car tous les sans-papiers sont des travailleurs et si on régularise sur la base du travail alors il faudra bien que tous les travailleurs sans-papiers soient régularisés. »
Paris, le 12 juin 2008