Avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’est saisie de la question de l’adaptation du droit interne aux dispositions du Statut de la Cour pénale internationale (CPI).
LA CNCDH note avec satisfaction le nombre croissant des ratifications (46 ratifications début novembre), qui laisse prévoir une entrée en fonction de la Cour très prochaine. La France qui a joué un rôle très actif dans les négociations du Statut de Rome se doit d’être prête à en assurer la pleine application le moment venu.
Elle rappelle que la France est tenue d’adopter les dispositions législatives indispensables pour pouvoir s’acquitter, dès l’entrée en vigueur du Statut, de ses obligations non seulement de coopération avec la CPI, mais encore de poursuites et de jugement, par les juridictions françaises, des auteurs de crimes définis dans le Statut de Rome. Elle insiste sur l’urgence et le caractère impératif de l’adoption de l’ensemble de ce dispositif législatif.
La CNCDH souligne que cette refonte des textes doit prendre en compte l’ensemble des engagements internationaux de la France, notamment les plus récents tels que ceux résultant de la ratification du Protocole I aux Conventions de Genève, afin de donner à la réforme sa pleine cohérence.
Les présentes recommandations s’inscrivent dans le droit fil des précédents avis de la Commission :
– sur l’élaboration, puis sur le Statut de la CPI ratifié par la France le 9 juin 2000 (avis du 4 juillet 1991, avis du 16 janvier 1997 et avis du 14 mai 1998) ;
– et sur l’application des Conventions de Genève, y compris les deux Protocoles additionnels de 1977 (avis du 8 janvier 1998 sur la ratification par la France du Protocole additionnel aux Conventions de Genève, avis du 16 février 1998 sur l’adaptation de l’ordre juridique français aux conventions de droit humanitaire et avis du 6 juillet 2001 sur l’adhésion française au Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux [Protocole I]).
La Commission nationale consultative des droits de l’homme demande au Premier ministre de présenter au Parlement un projet de loi prenant en compte les recommandations suivantes :
I. Sur la définition des crimes visés au Statut de Rome
1- Pour donner tout son effet à l’engagement international de la France et faciliter la coopération internationale avec la future CPI comme avec les États tiers, il est indispensable que – en règle générale – soient introduits en droit français les termes mêmes retenus par le Statut de Rome, sauf à conserver les éléments du Code pénal qui viennent utilement compléter la définition internationale. S’agissant de tels crimes, la CNCDH estime qu’une définition stricte s’impose et elle rappelle que le Statut de la CPI s’interprète notamment à la lumière des « éléments des crimes » visés à l’article 9 et des autres sources du droit international.
A. Crime de génocide
2- La CNCDH recommande que les dispositions de l’article 211-1 du Code pénal soient remplacées par celles de l’article 6 du Statut de Rome, tout en conservant l’élément original de l’article 211-1 incluant le « groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire ».
La nouvelle rédaction de l’article 211-1 devrait se lire :
« On entend par crime de génocide l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel, ou un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »
La Commission souligne que cette rédaction écarte toute référence à l’existence préalable d’un « plan concerté », que ne retient pas le Statut de la CPI et qui soulève, on le sait, d’importantes difficultés de preuve.
3- La CNCDH demande que soit impérativement créée, à l’article 211-1, une incrimination spécifique concernant le crime d’incitation directe et publique au génocide en conformité avec l’article 25 (3) (e) du Statut de Rome.
B. Crimes contre l’humanité
4- La CNCDH recommande que l’article 7 (1) du Statut de Rome soit repris dans son intégralité et substitué à la rédaction actuelle de l’article 212-1 du Code pénal :
« On entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :
a) Meurtre ;
b) Extermination ;
c) Réduction en esclavage ;
d) Déportation ou transfert forcé de population ;
e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;
f) Torture ;
g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;
i) Disparitions forcées de personnes ;
j) Crime d’apartheid ;
k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. »
C. Crimes de guerre
La CNCDH rappelle qu’aucune définition des crimes de guerre n’existe en droit interne et ce en dépit du fait que la France est partie aux Conventions de Genève de 1949 ainsi qu’aux deux Protocoles additionnels de 1977. Eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la non-applicabilité directe du droit international humanitaire, la Commission estime qu’il est important d’adopter une législation intégrant les crimes de guerre en droit français, et ce en vue de garantir la sécurité juridique.
En l’état actuel, les faits constitutifs de « crimes de guerre » ne relèvent que du droit commun, ce qui n’est pas satisfaisant compte tenu du risque de banalisation de tels crimes. En outre, lorsque ces crimes sont pris en compte, les dispositions qui les régissent se trouvent dispersées dans trois sources juridiques distinctes : le Code pénal, le Code de justice militaire et le Règlement de discipline générale des armées.
Enfin, des incertitudes et des lacunes apparaissent au regard des exigences du droit international humanitaire.
5- La CNCDH recommande que soit inséré dans le Code pénal un titre spécifique consacré aux « crimes de guerre », reprenant l’article 8 du Statut de Rome et l’ensemble des définitions des actes constitutifs des crimes de guerre contenues dans les Conventions de Genève de 1949 ainsi que dans le Protocole I de 1977. La déclaration faite par la France en vertu de l’article 124 du Statut de Rome, qui prévoit qu’« un État qui devient partie au présent Statut peut déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l’entrée en vigueur du Statut à son égard, il n’accepte pas la compétence de la Cour en ce qui concerne la catégorie de crimes visée à l’article 8 lorsqu’il est allégué qu’un crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants », rend encore plus nécessaire une définition des crimes de guerre dans le droit français, dans la mesure où, pendant la période transitoire, seul le juge national sera compétent pour sanctionner de tels crimes.
II. Sur les principes généraux de droit pénal
6- La CNCDH recommande que la loi d’adaptation française soit conforme aux principes généraux de droit pénal international tels que codifiés au chapitre 3 du Statut de Rome, afin de permettre la poursuite des auteurs présumés de ces infractions par les tribunaux français.
7- Elle recommande que le principe d’imprescriptibilité des crimes de guerre, tel qu’il est réaffirmé à l’article 29 du Statut de Rome, soit intégré dans le Code pénal.
8- Elle souhaite que la France ratifie les deux conventions internationales relatives à l’imprescriptibilité : la Convention des Nations unies sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité de 1968, et la Convention européenne sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre de 1984.
9- Elle demande que les questions relatives à l’amnistie et à la grâce fassent l’objet d’une attention particulière à l’occasion de l’élaboration de la loi française d’adaptation, compte tenu des obligations internationales qui découlent du Statut de Rome.
III. Sur la coopération entre la France et la Cour pénale internationale
10- En vue d’assurer une coopération efficace avec cette Cour, la CNCDH préconise que la loi d’adaptation française suive les lignes directrices suivantes :
a) faire prévaloir la mise en œuvre de l’État de droit sur des considérations d’opportunité politique grâce à la création d’une procédure juridictionnelle appropriée ;
b) assurer le respect des droits de la défense, des témoins et des victimes ;
c) éviter les risques d’impunité et les possibilités pour les suspects ou accusés d’échapper à la justice, qu’elle soit nationale ou internationale ;
d) mettre en place le cadre juridique nécessaire à l’exécution des décisions de la Cour, en particulier des peines prononcées et des ordonnances de réparation prises en faveur des victimes.
IV. Sur l’exercice de la compétence universelle
La Commission rappelle son avis du 16 février 1998 sur l’adaptation de l’ordre juridique français aux conventions de droit humanitaire, en particulier ses alinéas 3 et 4.
11- Elle recommande que la loi d’adaptation prévoie, conformément au droit international, que toute personne recherchée pour l’un des crimes visés par le Statut de Rome puisse être poursuivie et jugée par les juridictions françaises dès lors qu’il existe des éléments suffisants laissant supposer qu’elle se trouve sur le territoire français.
12- En conclusion, la CNCDH considère qu’il est particulièrement urgent de combler le vide juridique actuel. Elle demande que les autorités compétentes l’informent de l’état des travaux en cours et la consultent, le moment venu, sur le projet de loi d’adaptation avant la saisine du Conseil d’État.
Avis adopté par la CNCDH le 23 novembre 2001