Tribune collective
Trois ans après le lancement de l’opération Plomb Durci, aucune justice n’a été rendue aux victimes du conflit dans la bande de Gaza et dans le sud d’Israël. Au cours de cette attaque militaire menée par Israël sur la bande de Gaza entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009, 1 410 Palestiniens ont été tués, dont plus de 80% de civils, et 9 Israéliens dont 4 civils.
La laborieuse quête de justice pour les victimes du conflit débute en novembre 2009, au moment où l’Assemblée générale des Nations unies adopte le rapport Goldstone. L’Assemblée générale laisse alors un an et demi aux autorités israéliennes et palestiniennes pour poursuivre en justice les responsables présumés des graves crimes commis pendant le conflit. Le 18 mars 2011, un Comité d’experts indépendants a établi que ni le gouvernement israélien, ni la partie palestinienne n’ont satisfait aux demandes d’enquêtes formulées par l’Assemblée générale.
En Israël, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les organisations palestiniennes représentant les victimes telles qu’al-Mezan, al-Haq et le Centre palestinien pour les droits de l’Homme (PCHR) sont confrontées à un mur de silence dressé par la justice israélienne. Exemple parmi d’autres, sur les 490 plaintes pénales envoyées par le PCHR au Procureur militaire israélien au nom de 1 046 victimes palestiniennes, l’ONG n’a obtenu de réponse substantielle que dans deux cas.
Depuis l’opération Plomb durci, le Procureur militaire n’a ouvert que 47 enquêtes criminelles qui ont mené à la seule condamnation de trois soldats à des peines dérisoires, eu égard à l’ampleur des nombreux crimes commis pendant l’attaque. La plus lourde peine infligée est de sept mois et demi de prison, pour le vol d’une carte de crédit. Ces enquêtes souffrent d’un problème structurel essentiel car elles ont été menées par l’armée israélienne elle-même et manquent donc d’impartialité, de transparence et de l’expertise nécessaire.
Côté palestinien, les enquêtes ouvertes par l’Autorité de facto dans la bande de Gaza n’ont conduit à aucune poursuite et ne se sont pas avérées plus indépendantes. En Cisjordanie, des enquêtes indépendantes et poussées ont certes été menées mais n’ont conduit à aucune condamnation.
Vers qui se tourner dans ce cas pour obtenir justice ? En l’absence d’enquêtes internes fiables, le rapport Goldstone préconisait notamment le recours à la Cour pénale internationale. Cet ultime recours pour les victimes de l’opération plomb durci apparaît très peu réaliste tant il est mis en doute par les gouvernements occidentaux. La France, pour ne citer qu’elle, a conditionné son soutien à la reconnaissance du futur État palestinien à l’engagement de ce dernier à ne pas saisir la Cour pénale internationale dès sa proclamation car, selon elle, une telle démarche nuirait au processus de paix. Cette exigence envers les Palestiniens est condamnable à plusieurs égards. Elle suppose que les négociations politiques peuvent légitimement prévaloir sur la recherche de justice, ce que nos organisations réfutent fermement et part du postulat, aussi erroné que dangereux, que la lutte contre l’impunité peut entraver le processus de paix, alors qu’il ne saurait y avoir de paix durable sans justice. Par ailleurs qu’elle est en parfaite contradiction avec le soutien constant apporté par la France à la Cour pénale internationale depuis sa création, le cas libyen en étant le dernier exemple.
Reste donc aux victimes dans la bande de Gaza à saisir elles-mêmes la justice civile israélienne pour obtenir des indemnisations pour les dégâts humains et matériels subis.
Les Palestiniens font alors face à un mur d’obstacles absurdes. Tout d’abord, la victime doit payer pour obtenir justice. Les tribunaux israéliens imposent aux demandeurs de verser une provision avant le début de la procédure. Le montant n’est pas fixé par la loi, mais dans la grande majorité des cas, les juges demandent au minimum 10 000 shekels (plus de 2 000 euros, le salaire moyen à Gaza étant de 314 euros) au demandeur réclamant une indemnisation pour la mort d’un de ses parents. En règle générale, plus la violation faisant l’objet d’une plainte civile est grande, plus la provision réclamée à la victime est importante.
Par ailleurs, les avocats gazaouis ne sont pas autorisés à entrer en Israël pour représenter leurs clients auprès des tribunaux. Ils sont donc obligés de faire appel à des avocats israéliens, mais ces derniers n’ont pas le droit de venir à Gaza pour rencontrer leurs clients. S’ajoute à cela le fait que, depuis 2007, l’armée israélienne refuse aux Palestiniens de Gaza le droit de se rendre au tribunal en Israël, même s’ils sont munis d’une convocation. L’absence du plaignant entraîne alors automatiquement un non lieu.
Deux ans se sont maintenant écoulés depuis l’adoption du rapport Goldstone par l’Assemblée générale des Nations unies. Le rapport est en voie de classement sans suite, faute d’une volonté politique et d’attention médiatique. Au cours de sa dernière session de septembre, l’Assemblée générale aurait dû faire un nouveau bilan de l’application des recommandations du rapport. Il n’en a rien été et les représentants de l’OLP, focalisés sur l’adhésion de la Palestine à l’ONU, n’en ont fait aucune mention.
A l’époque de sa parution, des Palestiniens avaient mis en garde contre « un rapport de plus » comme il en est publié plusieurs dizaines, chaque année, sur les violations des droits de l’Homme dans les Territoires palestiniens. Le rapport Goldstone représente pour les victimes l’espoir que soit mis fin à l’impunité, par le respect du droit international par toutes les parties. Cet espoir doit être préservé.
Signataires :
– François Walter, Président de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture
– Pierre Tartakowsky, Président de la Ligue des droits de l’Homme
– Claude Léostic, Présidente de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
– Ishai Menuchin, Directeur exécutif du Comité public contre la torture en Israël
– Raji Sourani, Directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme
– Issam Younis, Directeur général du Centre Al Mezan pour les droits de l’homme
– Shawan Jabarin, Directeur général d’Al-Haq
– Sahar Francis, Directrice d’Addameer