Sélection d’arrêts du Conseil d’Etat- Arrêt du Conseil d’Etat du 14 février 2014, Mme P.U. et autres. Cette décision présente une importance particulière non seulement par les problèmes juridiques envisagés, mais aussi par les questions scientifiques, éthiques et déontologiques posées. Les faits, connus du grand public en raison du retentissement médiatique de l’affaire, étaient les suivants : M. X, né en 1976, infirmier en psychiatrie, avait été victime d’un accident de la circulation en 2008 qui lui avait causé un grave traumatisme crânien. Après cet accident, la victime avait été placée trois mois dans un service de réanimation, transférée ensuite dans une unité spécialisée pour patients en état pauci-relationnel, puis dans un centre de rééducation, enfin, de nouveau, accueillie dans un hôpital. En raison de son état de tétraplégie et de complète dépendance, M. X. était pris en charge pour tous les actes de la vie quotidienne, alimenté et hydraté de façon artificielle par voie entérale. Un bilan diagnostique et thérapeutique devait, par la suite, conclure que le patient était dans un « état de conscience minimale plus », avec une perception de la douleur et des émotions préservées. Toutes les tentatives de mise en place d’un code de communication avec le patient furent vaines. En 2012, à la suite de ces divers constats, et se fondant sur l’analyse de l’absence d’évolution neurologique favorable du patient, le chef du pôle autonomie et santé du centre hospitalier universitaire, responsable à ce titre du service prenant en charge M. X., engageait alors la procédure collégiale (applicable lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et qui consiste, notamment, en une concertation de l’équipe de soins) prévue par l’article R.4127-37 du Code de la santé publique afin d’apprécier si la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation artificielles était le résultat d’une « obstination déraisonnable » au sens dudit Code. Le 10 avril 2013, le médecin décidait d’arrêter l’alimentation artificielle et de diminuer l’hydratation. Saisi par les parents du patient et d’autres membres de la famille, le juge des référés du tribunal administratif saisi d’un référé-liberté (qui permet au juge d’ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale) décidait, le 11 mai 2013, le rétablissement de l’alimentation et de l’hydratation artificielles au motif que seule l’épouse avait été informée de la mise en œuvre de la procédure collégiale. Quelques mois après, une nouvelle procédure collégiale, associant cette fois, outre l’épouse, les parents et autres membres proches de la famille, était diligentée et aboutissait, le 11 janvier 2014, à une décision médicale d’interruption de l’alimentation et de l’hydratation artificielles du patient. Saisi à nouveau, le tribunal administratif statuant en référé, en formation collégiale, suspendait, le 16 janvier 2014, l’exécution de la décision médicale. L’épouse, un des neveux du patient et le centre hospitalier relevaient alors appel devant le Conseil d’Etat. A l’appui de ces recours, il était en particulier soutenu que, contrairement à ce qu’avait jugé le tribunal administratif en référé, la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation artificiellement administrées au patient n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie de M. X., traduisait une « obstination déraisonnable » au sens de l’article L. 1110-5 du Code de la santé publique, ce qui était contesté en défense. Par l’arrêt du 14 février 2014, le Conseil d’Etat considère qu’il lui revient « de s’assurer, au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, qu’ont été respectées les conditions mises par la loi pour que puisse être prise une décision mettant fin à un traitement dont la poursuite traduirait une obstination déraisonnable ». La haute juridiction estime que, pour procéder à cette appréciation, elle doit disposer des informations les plus complètes, notamment sur l’état de la personne concernée. A cette fin, le Conseil d’Etat ordonne une expertise confiée à un collège de trois médecins qui seront désignés par le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, sur proposition respectivement du président de l’Académie nationale de médecine, du président du Comité consultatif national d’éthique et du président du Conseil national de l’Ordre des médecins. De plus, le Conseil d’Etat considère « qu’en raison de l’ampleur et de la difficulté des questions d’ordre scientifique, éthique et déontologique qui se posent à l’occasion du présent litige », il y a lieu, pour les besoins de l’instruction des requêtes, d’inviter l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil national de l’Ordre des médecins, ainsi que M. Jean Léonetti, à présenter des observations écrites d’ordre général de nature à l’éclairer utilement sur l’application des notions « d’obstination déraisonnable » et de « maintien artificiel de la vie ».
Les apports de cet arrêt sont considérables. En effet, le Conseil d’Etat ne se contente pas d’ordonner une expertise qui apparaissait inévitable au regard des éléments de fait du dossier. Il estime d’abord que diverses dispositions du Code de la santé publique (par exemple, les articles L.1110-5 et L.1111-4) issues de la loi du 22 avril 2005, dite loi Léonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie, s’appliquent à des patients qui ne sont pas en fin de vie. En effet, le Conseil d’Etat précise « qu’ il résulte des termes mêmes de ces dispositions et des travaux parlementaires préalables à l’adoption de la loi du 22 avril 2005, qu’elles sont de portée générale et sont applicables à l’égard de M. X. comme à l’égard de tous les usagers du système de santé ». Et il confirme dans un autre motif que les actes de soins ne doivent pas être poursuivis par une « obstination déraisonnable » et qu’ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris lorsqu’ils apparaissent inutiles ou disproportionnés, ou n’ont d’autre effet que le maintien artificiel de la vie, « que la personne malade soit ou non en fin de vie ». En outre, le Conseil d’Etat considère que le législateur a entendu inclure au nombre des « traitements » susceptibles d’être limités ou arrêtés, au motif d’une « obstination déraisonnable », « l’ensemble des actes qui tendent à assurer de façon artificielle le maintien des fonctions vitales du patient, et que l’alimentation et l’hydratation artificielles relèvent de ces actes ». Enfin, il reconnaît que le droit de ne pas subir un traitement qui traduirait une « obstination déraisonnable » est une liberté fondamentale au même titre que le droit du patient à consentir un traitement médical, comme il l’avait jugé en 2002 (CE ord. 16 août 2002, Feuillatey : « le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu’il se trouve en état de l’exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d’une liberté fondamentale »). Après dépôt du rapport d’expertise, l’affaire sera portée devant l’assemblée du contentieux (la plus haute formation de jugement du Conseil d’Etat) qui se prononcera avant l’été.